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Le discours de M. de Bonald, vigoureux comme toujours, sobre, sans finesse, ne fit aucune concession. Le vicomte Dambray s’efforça de distinguer entre l’existence civile des jésuites, reconnue par une loi, et la présence individuelle des membres de la corporation, soumise à l’ordinaire pour élever la jeunesse.

La chambre ne fut pas étonnée de voir M. de Choiseul prendre la parole ; c’était presque pour lui une question de famille. Il rappela les sentimens religieux des évêques qui avaient été de ses parens, l’opinion du ministre dont il portait le nom.

M. Lainé défendit Montlosier contre les attaques de M. le duc de Fitz-James ; il défendit aussi le droit public de l’ancienne France et remercia ironiquement le cardinal de La Fare, qui avait invoqué les dispositions libérales de la charte. Aux yeux de M. Lainé, les jésuites n’étaient pas de simples citoyens ; c’étaient les membres actifs d’un ordre à qui l’on prodiguait les encouragemens et les privilèges, comme la faculté de diriger les études à la suite desquelles se conféraient les grades et comme la dispense de la rétribution universitaire pour des collèges déguisés sous le nom de petits séminaires.

Quelque remarquable que fût ce discours, il n’amena pas le ministre à la tribune. Ce fu M. de Barante qui l’y fit monter. En orateur ingénieux et en politique habile, il ramena la question à ce point : « Les jésuites ont-ils pu être autorisés par le seul consentement de l’administration ? Mais cette administration permet certaines réunions et en interdit d’autres. Elle ne permet pas aux piétistes d’Alsace de se réunir ; elle interdit à une secte protestante de s’établir à Saint-Étienne ; ailleurs elle ne permet pas même à la communion calviniste d’assembler ses fidèles. C’est le règne de l’arbitraire. Puisqu’il n’existe pas de droit commun, la législation spéciale a dû conserver toute sa force. Comme communauté, il a fallu à la société de Jésus une autorisation ; comme corps enseignant, elle jouit d’un privilège. En supposant que l’administration ait pu se croire un pouvoir assez grand pour autoriser et privilégier, il faut qu’elle rende compte de l’usage qu’elle a fait de son pouvoir. Ce n’est ni dans l’intérêt de l’instruction publique, ni dans l’intérêt de la morale. Est-ce dans l’intérêt de la politique ? Quand le pouvoir les appelle en auxiliaires, ils font bientôt de lui un instrument. » Telle fut en substance l’opinion de M. de Barante ; on le savait l’intime ami de Montlosier ; aussi sa parole fut-elle avidement écoutée.

Le ministre des affaires ecclésiastiques crut alors devoir intervenir. Il s’enferma strictement dans le sujet traité par l’honorable pair qui avait parlé avant lui. Après avoir présenté, avec élégance et modération, une apologie des jésuites, il déclara que sans doute,