Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand nombre un sentiment de honte qu’une nation ne peut longtemps supporter...

« ... De tout temps la France a résisté non pas à l’amalgame odieux des deux autorités spirituelle et temporelle mais au moins à ses effets. Nous avons eu beaucoup de hontes nous n’avons pas encore eu celle d’un tribunal d’inquisition. Il est à croire que la charte et notre système constitutionnel, désespoir d’une certaine classe d’hommes, continueront à nous en préserver. »

La troisième partie, qui traite spécialement de l’action des lois, renferme, au milieu d’une phraséologie vide trop souvent, quelques pages pleines de verve.

« Vous voulez inspirer en France du respect pour les prêtres ? Au nom de Dieu, ne les mettez ni dans le monde ni dans les affaires ! Quoiqu’ils vous disent, empêchez-les de se prostituer dans les détails des affaires humaines. Vous renfermez vos vases sacrés dans des tabernacles; vous ne les produisez aux regards publics, même au culte, qu’avec ménagement : faites-en autant de vos prêtres. Ne permettez pas à ces ciboires et à ces calices d’aller parader dans nos fêtes. Les femmes sont des fleurs; les mettre dans les affaires c’est les faner. Les prêtres sont des vases saints, les employer aux usages du monde, c’est les profaner. »

Et plus loin, voulant établir qu’au fond la France était restée une nation religieuse et désireux peut-être aussi de faire une avance au parti libéral, Montlosier dit :

« La révolution française est certainement dans l’ordre politique et civil le bouleversement le plus complet qui ait jamais eu lieu parmi les nations. Mais en même temps, comme au milieu des choses visibles qui étaient emportées, la révolution en conservait intacte une multitude qu’on n’apercevait pas, on peut dire, en employant le langage ordinaire, qu’elle a renversé la religion et les mœurs; mais cela n’est vrai que sous certain rapports. En effet tout en perdant ses institutions sociales, c’est-à-dire les formes visibles et quelquefois usées dans lesquelles son ancien esprit était renfermé, il est de fait que la France n’a pas perdu cet esprit. Même aux plus mauvais temps de la révolution, la France livrée à la tyrannie d’une classe moyenne exaspérée, a conservé les sentimens nobles et délicats des classes élevées qu’elle proscrivait. Elle a conservé dans son sein, alors même qu’elles ne pouvaient plus éclore, les semences de délicatesse et d’honneur, qu’elle avait reçues des générations précédentes, comme la terre conserve en hiver les semences qui lui ont été confiées en automne. »

Toute la partie du Mémoire, relative à la jurisprudence est plus qu’insuffisante. Montlosier n’était pas un légiste. Il en avait l’esprit, mais il n’en avait pas la science. Il avait cependant compris