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découverte a dû te refroidir, je le conçois. Votre amitié n’était encore qu’une liaison mal affermie, attendant tout de l’avenir et ne recevant rien du passé. Sans doute, à ta place, trouvant cette âpreté de caractère chez quelqu’un, que j’aurais jugé tout différent, j’aurais comme toi rabattu beaucoup du cas que j’en faisais. Quant à moi, je voudrais pouvoir cesser de l’aimer, car ce m’est un continuel sujet de peines que de le voir en mauvais chemin et toujours refusant de s’en appercevoir. Mais on doit aimer ses amis jusqu’au bout, quoiqu’ils fassent, et je ne sais pas retirer mon affection quand je l’ai donnée. Je prévois que St., avec ses moyens de parvenir, n’arrivera jamais à rien. Je le prévois même depuis longtems. Cette famille est fort décriée dans le pays et à trop juste titre. St. a beaucoup des défauts de ses frères, et c’est tout ce qu’on connaît de lui, car ses qualités, qui sont grandes et belles, celles d’une âme fortement trempée, capable de grandes vertus et de grandes erreurs, ne sont pas de nature à sauter aux yeux des indifférens et à être goûtées autrement qu’à l’épreuve. On me saura toujours mauvais gré de lui être aussi attachée, et bien qu’on n’ose me le témoigner ouvertement, je vois souvent le blâme sur le visage des gens qui me forcent à le défendre. Je ne retirerai donc de lui rien qui puisse flatter ma vanité ; fort au contraire aura-t-elle peut-être beaucoup à souffrir de sa condition. Je craindrais, en examinant trop attentivement les taches de son caractère, de me refroidir sous ce prétexte, mais effectivement de céder à toutes ces considérations d’amour-propre et d’égoïsme qui font qu’on rapporte tout à soi, lesquelles on devrait fouler aux pieds. St. me sera toujours cher, quelque malheureux qu’il soit. Il l’est déjà, et plus il Je deviendra, moins il inspirera d’intérêt, telle est la règle de la société. Moi, du moins, je réparerai, autant qu’il sera en moi, ses infortunes. Il me trouvera, quand tous les autres lui tourneraient le dos, et dût-il tomber aussi bas que l’aîné de ses frères, je l’aimerais encore par compassion après avoir cessé de l’aimer par estime. Ceci n’est qu’une supposition pour te montrer quelle est mon amitié, car on ne soupçonne pas de véritables tons à ceux qu’on aime, et je suis loin de me préparer à recevoir ce nouveau déboire de le voir s’abaisser. Mais il restera dans la misère, de tristes pressentimens m’avertissent que ses efforts pour s’en retirer l’y plongeront plus avant. Ce sera un grand tort aux yeux de tous, excepté aux miens.

Tu penses absolument comme moi à cet égard, puisque tu m’exhortes à ne lui pas retirer mon attachement. Tu peux être tranquille. Quant à toi, ce n’est pas tant de ses folies que tu es choqué que de l’aveuglement qui lui fait préférer ses faux amis aux vrais. Je ne te blâme point de cette impression. Je te demande