Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/978

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

engagée au premier rang dans toutes les affaires du monde, et pendant ce temps, elle a toujours à tenir tête chez elle aux agitations agraires de l’Irlande, aux conspirations des fenians, aux « obstructionnistes » dans le parlement. La discussion des mesures de protection et de pacification pour l’Irlande est une bataille permanente, pleine de péripéties ; chaque vote est une conquête laborieuse, non pas sur la chambre des communes elle-même, mais sur les passions violentes des home-rulers, des « obstructionnistes. » On a vu, il y a quelques semaines, une séance durer vingt-deux heures. Ce n’était rien encore, il y a eu depuis une séance qui s’est prolongée jusqu’à quarante heures ! Ces scènes parlementaires ont un caractère véritablement dramatique par le contraste des turbulences irlandaises et de l’énergique sang-froid du speaker et de M. Gladstone. Il y a peu de jours, on a dû se résoudre à expulser, pour la durée de la séance, trente-cinq Irlandais. Il fallait cependant en finir, et on en est venu à proposer une motion qui fortifie l’autorité du speaker, qui lui permet, avec l’accord de la majorité des trois quarts de la chambre, de prononcer l’urgence, de déjouer toutes les tactiques de « l’obstruction. » Que la liberté traditionnelle et illimitée de la parole en soit quelque peu atteinte, c’est possible ; l’honneur du parlement passait avant tout, et ce n’est pas sans une profonde émotion que M. Gladstone a pu dire : « Mon bail sur la terre touche presque à son terme ; mais il en est parmi vous qui me survivront longtemps, qui doivent envisager gravement l’avenir de notre régime parlementaire. C’est à ceux-là que je m’adresse ; à eux de décider par leur vote que la chambre demeurera la gloire de notre patrie et que de chute en chute elle ne deviendra pas la risée de l’Europe. » A travers tout, sans doute, les bills du gouvernement finissent par être votés ; les violences mêmes qu’ils soulèvent en démontrent la nécessité ; il reste à savoir jusqu’à quel point ils seront efficaces pour rétablir la paix et l’ordre en Irlande.

L’imprévu vient de reparaître dans les affaires de l’Espagne, et si l’on nous passe le mot, il a fait sa rentrée par une crise ministérielle qui peut avoir sa raison d’être dans une certaine situation générale, dans le courant des choses, mais qu’aucune manifestation ostensible des chambres, aucun incident récent ne laissait pressentir. M. Canovas del Castillo, qui depuis la restauration a été presque toujours le premier ministre du roi Alphonse, qui ne s’était effacé que pour un moment, il y a deux ans, devant le général Martinez Campos, M. Canovas del Castillo était rentré au pouvoir il y a un an avec une apparence d’autorité nouvelle. Récemment encore il soutenait avec succès la discussion de l’adresse, où il avait pourtant à essuyer de vives attaques. Il n’y a que quelques jours, il sortait avec le même avantage d’un débat engagé contre lui par l’opposition à propos de l’interdiction de quelques banquets,