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La politique de l’Europe, depuis qu’elle est si vivement et si directement engagée dans ces éternelles affaires orientales, passe par d’incessantes et singulières oscillations. Tantôt les nuages semblent s’accumuler sur l’Orient ; tantôt on revient à la paix ou du moins aux probabilités de la paix. C’est ce qui arrive encore aujourd’hui. Après les alertes et les alarmes du mois dernier, les nuages se sont quelque peu dissipés. Ce n’est pas, bien entendu, que Turcs et Grecs soient arrivés tout à coup à composition, que tout danger de conflit soit absolument écarté ; mais depuis quelques jours la situation s’est visiblement un peu détendue. La diplomatie s’est remise à l’œuvre et renoue laborieusement ses fils à demi rompus. La paix a retrouvé des chances, parce qu’après tout la paix est dans l’intérêt, dans les désirs de tout le monde, parce que l’Europe ne peut pas se laisser compromettre elle-même en laissant se raviver la question d’Orient tout entière pour un simple tracé de frontière entre la Turquie et la Grèce. De toutes les puissances qui forment ce qu’on appelle le concert européen, qui s’emploient également à débrouiller les complications orientales, la France est assurément une des plus décidées pour cette paix désirée par tout le monde ; elle est pour la paix aujourd’hui comme hier, et s’il fallait une preuve nouvelle de ses sentimens, elle est dans cette récente discussion de la chambre des députés à laquelle ont pris part l’auteur d’une interpellation annoncée depuis quelques jours, M. Antonin Proust, un orateur à la parole élégante et ferme, M. Etienne Lamy, M. le ministre des affaires étrangères lui-même, avec l’autorité de son caractère et de sa position. Cette discussion rapide et instructive, sans être d’une grande nouveauté, a du moins ce double résultat ou cette double signification : elle éclaire à demi les dernières phases de ce différend turco-hellénique qui est pour le moment le danger de la question d’Orient, et une fois de plus, par le tour qu’elle a pris comme par le vote qui l’a terminée, elle atteste la persévérance des intentions pacifiques de la France.

Ce que M. Antonin Proust se proposait, par son interpellation, d’ailleurs fort convenablement développée, on ne le voit pas bien ; on distingue tout au plus des regrets, des réserves, des critiques par réticence, et c’est précisément sans doute parce que cette interpellation manquait de netteté ou ne disait pas tout ce qu’elle voulait dire qu’elle n’a rencontré que froideur. La chambre, au contraire, s’est sentie bien vite gagnée par le langage de M. Lamy et de M. le ministre des affaires étrangères, qui l’un et l’autre, dans une mesure et avec des nuances différentes, en paraissant quelquefois se contredire, se sont efforcés de ramener la question à ses vrais termes, de dissiper les équivoques, de dégager la France, d’en finir avec cette prétendue obligation de risquer le repos de l’Europe pour une frontière de Grèce. À ce langage, plus vif, plus agressif, si l’on veut, de la part de M. Lamy, — plus circonspect, plus diplomatique de la part de M. Barthélémy Saint-Hilaire, la chambre