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des piliers d’architecture gothique ; le plus beau pays du monde, le torrent d’un bleu d’azur, les prairies d’un vert éclatant, un premier cercle de montagnes couvertes de bois épais, et un second, à l’horizon, d’un bleu tendre qui se confondait avec le ciel, toute cette belle nature éclairée par le soleil couchant, vue du haut d’une montagne, au travers de ces noires arcades de rochers ; derrière moi, la sombre ouverture des grottes : j’étais transportée. Je parcourus ainsi deux ou trois de ces péristyles, communiquant les uns aux autres par des portiques, cent fois plus imposans et plus majestueux que tout ce que feront les efforts des hommes.

Nos compagnons arrivèrent, et nous nous enfonçâmes encore dans les détours d’un labyrinthe étroit et humide, nous aperçûmes au-dessus de nos têtes une salle magnifique où notre guide ne se souciait guère de nous conduire. Nous le forçâmes de nous mener à ce second étage. Ces messieurs se déchaussèrent et grimpèrent assez adroitement ; pour moi, j’entrepris l’escalade.

Je passai sans frayeur sur le taillant d’un marbre glissant au-dessous duquel était une profonde excavation. Mais quand il fallut enjamber sur un trou que l’obscurité rendait très effrayant, n’ayant aucun appui ni pour mes pieds ni pour mes mains, glissant de tous côtés, je sentis mon courage chanceler. Je riais, mais j’avoue que j’avais peur. Mon mari m’attacha deux ou trois foulards autour du corps et me soutint ainsi pendant que les autres me tiraient par les mains. Je ne sais ce que devinrent mes jambes pendant ce tems-là. Quand je fus en haut, je m’assurai que mes mains (dont je souffre encore) n’étaient pas restées dans les leurs, et je fus payée de mes efforts par l’admiration que j’éprouvai. La descente ne fut pas moins périlleuse, et le guide nous dit, en sortant, qu’il avait depuis bien des années conduit des étrangers aux Espeluches, mais qu’aucune femme n’avait gravi le second étage. Nous nous amusâmes beaucoup à ses dépens en lui reprochant de ne pas balayer assez souvent les appartemens dont il avait l’inspection.

Nous rentrâmes à Lourdes dans un état de saleté impossible à décrire ; je remontai à cheval avec mon mari, et, nos jeunes gens prenant la route de Bordeaux, nous prîmes tous deux celle de Bagnères. Nous eûmes pendant six lieues une pluie à verse et nous sommes rentrés ici à dix heures du soir, trempés jusqu’aux os et mourant de faim. Nous ne nous en portons que mieux aujourd’hui. Nous sommes dans l’enchantement de deux chevaux arabes que nous avons achetés et qui seront les plus beaux que l’on ait jamais vus au bois de Boulogne.

Voilà une lettre éternelle, ma chère maman, mais vous me demandez des détails, et je vous obéis avec d’autant plus de plaisir que je cause avec vous. Clotilde m’en demande aussi, mais je n’ai