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confisquées des couvens, dont plusieurs étaient encore fort riches, servirent à l’accroissement de la dotation territoriale des paysans.

Quant au clergé séculier, on supprima partout le patronat ou droit de la noblesse de désigner les curés de certaines paroisses. Milutine et Tcherkasski, conformément à leur goût habituel pour l’élection populaire, eussent voulu remettre au paysan le choix de ses pasteurs comme le choix de ses maires ou anciens. C’est encore là une réforme qu’ils eussent volontiers, s’ils en avaient été les maîtres, introduite en Russie. La proposition en fut faite pour la Pologne, mais elle fut repoussée au comité des ministres[1].

L’acte le plus grave qu’on puisse reprocher à la Russie dans ces délicates luttes religieuses, c’est la suppression légale du dernier diocèse d’uniates ou grecs-unis, officiellement ramené en bloc dans le giron de l’église orthodoxe, sans tenir compte des sentimens personnels des prêtres ou des laïques attachés à l’union. Or cette violation des droits de la conscience, qui reste l’une des taches du règne d’Alexandre II, est postérieure au ministère et à la mort même de Milutine. Il s’était, si je ne me trompe, contenté de relever les uniates de Khelm, d’appeler à leur tête des prêtres grecs-unis de Galicie et de subventionner leur clergé.

Dans toute cette « réforme » ecclésiastique, la Russie rencontrait naturellement la plus vive opposition de la part du Vatican. Pie IX n’était pas homme à faire de grandes concessions au tsar. Toutes les tentatives d’entente ou de compromis restèrent infructueuses. Milutine, qui, ainsi que Tcherkasski, cherchait à relâcher les liens du clergé polonais et de Rome, tenait essentiellement à ce que le gouvernement impérial, au lieu de négocier avec Pie IX, rompit définitivement toutes relations officielles avec la curie romaine. Au point où en était la Russie dans sa lutte avec la hiérarchie catholique, une telle rupture semblait inévitable. Soit qu’il voulût se ménager les chances d’une réconciliation, soit plutôt qu’il désirât mettre les apparences de son côté, le gouvernement russe était loin d’être unanime à ce sujet. La proposition de Milutine ne l’emporta au comité des ministres qu’après une longue et véhémente discussion, sous l’œil même du maître. Dans ce conseil dont les membres ne se sentent liés par aucune solidarité et sont souvent plutôt rivaux que collaborateurs, Nicolas Alexèiévitch n’avait plus d’une fois déjà eu gain de cause qu’après d’orageuses délibérations[2]. Ce fut son dernier effort et son dernier triomphe. Le même jour,

  1. Lettre de Milutine à Tcherkasski : « Aujourd’hui on a également examiné la question du patronat. On a souscrit à tout, excepté à l’élection des prêtres par leurs paroissiens. Sur ce point je n’ai été soutenu que par mon frère et Zélénoï. » (Lettre 2/14 juin 1866.)
  2. Lettre de Milutine du 2/14 juillet 1866.