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provinces de la Vistule, favorisé les progrès de son plus redoutable concurrent, le germanisme.

Une telle politique se comprenait au lendemain de l’insurrection polonaise et en face d’une Allemagne morcelée, alors que la Prusse ne semblait à Pétersbourg qu’un humble satellite du grand empire voisin ; est-elle aussi prudente et rationnelle depuis la résurrection de l’empire germanique, alors qu’à Berlin tout le monde n’a pas oublié que la Prusse a régné à Varsovie avant la Russie ?

Milutine n’eut pas à s’interroger à ce sujet. Quelques mois après Sadowa (en novembre 1866), il était frappé d’une attaque d’apoplexie, à la suite d’une séance du comité des ministres, où l’on avait longuement discuté sur les rapports de l’empire et de la hiérarchie catholique. La question religieuse, ou mieux la question ecclésiastique, fut, après les lois agraires, la principale préoccupation de Milutine et de Tcherkasski en Pologne. En aucun pays, on le sait, la nationalité et la religion ne se sont à ce point alliées et renforcées l’une l’autre. Le clergé était, après la szlachta, regardé comme le principal fauteur des résistances polonaises ; il ne pouvait sortir indemne de la défaite d’une insurrection qu’il passait pour avoir encouragée. La plupart des évêques avaient été internés dans l’intérieur de la Russie ou déportés en Sibérie ; mais aux yeux de Milutine, qui, en toutes choses, préférait aux rigueurs passagères ce qu’il appelait des mesures organiques, c’était moins aux individus qu’aux institutions qu’il fallait s’en prendre. Dans l’empire autocratique, tout comme dans les états démocratiques, c’était au clergé régulier et aux moines que le gouvernement devait s’attaquer de préférence. Ainsi que d’habitude, Milutine devait ici encore rencontrer à Varsovie l’opposition plus ou moins déclarée du vice-roi[1].

Au dire de Tcherkasski, entre tous les monastères du royaume, il n’y en avait qu’un, celui du grand sanctuaire de Czenstochowa, qui fût sans reproche[2]. La réforme monastique, entreprise par Milutine et Tcherkasski, consista dans la suppression graduelle de la plupart de ces couvens, en commençant par les plus petits. Avant 1863, il y avait dans le royaume cent soixante-treize couvens ; on n’en a laissé subsister qu’une trentaine (trente-quatre), dont dix de femmes, et cela en limitant strictement le nombre des religieux de l’un et l’autre sexe[3]. Les terres

  1. Lettre de Tcherkasski du 13/25 mai 1864.
  2. Lettres de Tcherkasski à Milutine.
  3. D’après les renseignemens qui m’ont été fournis à Pétersbourg, le printemps dernier, par la direction des cultes étrangers, il n’y avait, en 1876, que 1,000 ou mieux 999 religieux dans le royaume et dans les provinces occidentales ; il y en aurait moins encore aujourd’hui.