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en Pologne. En dépit des usages du tchine, quoiqu’il eût à peine un grade civil, n’ayant jamais occupé que des fonctions électives, Tcherkasski, soudainement promu au rang de conseiller privé, fut nommé ministre de l’intérieur (à titre provisoire) du royaume de Pologne et chargé de la direction des affaires politiques et religieuses. Dans cette position, il devait effectivement, avec l’aide et sous l’inspiration de Milutine, conduire les réformes administratives, politiques, ecclésiastiques et en partie économiques.

Malgré sa répugnance à retourner en Pologne, Nicolas Milutine accompagna d’abord Tcherkasski à Varsovie pour y installer avec lui la nouvelle administration et commencer l’application des ukases de mars 1864, qui octroyaient aux paysans une partie des terres de la noblesse.

Les deux amis devaient rencontrer en Pologne deux obstacles, en quelque sorte reliés ensemble par les circonstances. Ils devaient d’abord souffrir du manque d’hommes, de la pénurie d’instrumens intelligens et dévoués, et cela malgré le concours empressé des patriotes qui, de Pétersbourg et de Moscou, allaient venir prendre la place laissée vide par Samarine. L’œuvre de Milutine et de Tcherkasski devait être entravée davantage par un défaut connexe, le manque d’unité administrative, le manque de concours d’une grande partie des autorités, officiellement appelées à les seconder. On ne saurait imaginer, sans parcourir leur correspondance, que d’efforts de tous les instans il leur a fallu jusqu’à la fin pour surmonter cet obstacle qui seul eût arrêté des hommes moins énergiques.

C’est au commencement du printemps, en mars 1864, que les deux amis revinrent à Varsovie appliquer les statuts qu’ils avaient non sans peine fait adopter à Pétersbourg. Ils arrivaient comme représentans de l’empereur, avec une mission qui paraissait exiger de pleins pouvoirs, et ils allaient se heurter chaque jour et partout, moins aux résistances polonaises devenues impuissantes qu’à la sourde opposition des autorités russes, civiles ou militaires, du royaume. Il est facile de voir combien était fausse et ambiguë, au lendemain même de leur triomphe à Pétersbourg, la position des deux amis qui semblaient revenir à Varsovie en vainqueurs et en maîtres. Tcherkasski, le nouveau ministre de l’intérieur, se trouvait directement le subordonné du vice-roi, le comte Berg, qui devait employer tous ses efforts à paralyser le ministre. Quant au conseiller privé et secrétaire d’état, N. Milutine, il revenait en Pologne sans pouvoirs déterminés, à peu près comme la première fois, lorsqu’il n’avait qu’à étudier la situation ; il revenait avec un état-major dévoué, ayant pour instruction de tout changer, de tout renouveler, conformément à son programme, et il allait