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plus grandes encore. Les obstacles semblaient tels qu’à Pétersbourg comme à Varsovie, plusieurs des adversaires de Milutine se flattaient de voir les mesures édictées sur ses conseils rester pour la plupart lettre morte.

En face de l’opposition à peine déguisée d’une grande partie ? du monde officiel, tant dans le royaume que dans l’empire, Milutine sentait que confier l’application de son programme à des mains étrangères, l’abandonner au vice-roi de Varsovie ou au ministère de Pologne de Pétersbourg, c’était non-seulement en compromettre le succès, mais le rendre impossible. Aussi, malgré toutes ses répugnances à retourner en Pologne, Milutine, une fois jeté malgré lui sur cette route, n’hésita-t-il point à marcher jusqu’au bout. De ses deux associés, le prince Vladimir Tcherkasski et Georges Samarine, un seul, le premier, devait le suivre dans cette nouvelle mission et y rester jusqu’à la fin cloué avec lui.

Ce n’était pas sans peine, nous l’avons vu, que G. Samarine s’était décidé à accompagner Milutine dans l’exploration des campagnes de Pologne, et un peu plus tard, à s’asseoir à côté de lui dans le haut comité, chargé par l’empereur de l’examen des affaires polonaises. Sa santé, et sa disposition à la tristesse n’étaient pas les seuls motifs de son éloignement pour le service et l’administration ; son caractère, ses habitudes, son genre d’esprit, ses idées, ses principes, ses occupations favorites, tout l’écartait également des fonctions publiques. Dans un pays où, grâce au tchine, au tableau des rangs et à la tradition bureaucratique de Pierre le Grand, les hommes les plus distingués par la naissance ou le talent n’avaient d’ordinaire d’autre souci que de faire une brillante carrière civile ou militaire, G. Samarine, mettant à profit l’indépendance que lui donnait sa fortune, préférait à toutes les distinctions et à tous les titres officiels sa liberté d’écrivain et ses études de cabinet. Sous ce rapport, le méditatif et morose slavophile, le fervent orthodoxe, à ses heures presque mystique, semblait, comme quelques-uns de ses amis de Moscou, moins appartenir à la Russie du milieu du siècle ; où le tchinovnisme régnait en maître, qu’à l’un des libres pays de l’Occident, où la pensée et les études désintéressées sont le plus en honneur.

Samarine n’avait assisté qu’aux deux ou trois-premières séances du comité dès affaires polonaises. Dans cet auditoire d’élite, comme naguère dans la commission de rédaction pour l’affranchissement des serfs, il avait eu les plus brillans succès oratoires ; mais ces succès, qu’il devait un peu plus tard, retrouver dans la douma ou le zemslvo[1], de Moscou, ne purent changer ni ses inclinations ni ses

  1. Le conseil municipal et l’assemblée provinciale.