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périlleuse qu’il s’agissait de la tirer et quelques lettres de Mme de Staël à la princesse d’Hénin vont nous montrer quelle ardeur elle apportait dans cette entreprise.


Lausanne, ce 8 juin (1794).

Je n’ai pu, malgré vos conseils, m’empêcher de faire dire à l’amie infirme mon opinion sur la facilité de sortir pour elle et pour son fils ; elle ne veut pas. Jusqu’au retour du voyageur, je ne saurai rien de plus, je la crois dans une maison de santé. Ah ! si elle m’en avoit cru il y a quatre mois ! — Je ne suis pas imprudente dans des intérêts pareils ; toute ma pensée est tournée vers elle, c’est mon premier sentiment en France et en Suisse, et ce que je proposois étoit sûr, à part cependant les difficultés de l’arrestation qui n’existoient pas il y a quatre mois ; Sa femme de chambre la sert ; vous aurez des détails dans quinze jours ou trois semaines :

Quant à la jeune amie, je la savois aux Anglaises, et cependant on me donne de l’espoir. — Je n’y comprends rien et j’en prends peu. Au moins, le 21 de may elles étoient bien, autant que le style de la poste qui porte sur des objets à mille lieues du vrai peut le faire entendre. Ne vous inquiétez pas de cette malheureuse tentative ; il n’y avoit pas une chance d’inconvénient, et tel étoit mon effroi après le sort des malheureuses duchesses[1] que j’aurois donné tout ce dont je dispose sur la terre pour la décider à croire à des moyens qui n’ont encore manqué pour personne, quoique malheureusement ils s’emploient beaucoup aujourd’hui et deviennent ainsi plus chers. Pour les intérêts de Malouet, dites-lui que l’homme n’est pas encore revenu ; il doit me répondre à de simples questions, attendant sa décision sur une longue lettre de moi. Voilà aussi un mot pour Charles de Noailles. J’ai perdu son adresse, vous lui direz ce qui l’intéresse d’ailleurs.


L’amie infirme dont il est question dans cette lettre, c’est, il est a peine besoin de le dire, la princesse de Poix. Les intérêts de Malouet, ce sont sa femme et sa fille, qui étaient demeurées à Verberie, chez Chabanon de Maugris, le frère de l’académicien Chabanon. Quant à la jeune amie détenue aux Anglaises (le couvent des Augustines anglaises transformé en prison), c’était Mme de Simiane, amie intime de la princesse de Poix et de Mme de Staël. Mme de Simiane est encore une de ces femmes de l’ancienne société qu’on voudrait avoir connues, tant elles ont laissé dans la mémoire de leurs contemporains un souvenir de grâce et de séduction.

  1. La maréchale duchesse douairière de Noailles, la duchesse d’Ayen, sa belle-fille, la vicomtesse de Noailles, sa petite-fille venaient d’être jetées en prison et devaient monter le même jour sur l’échafaud.