Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succédé une indignation virulente contre ces jacobins fanatiques qui étendaient sur la France le réseau de leur tyrannie. Le ressentiment qu’elle avait éprouvé contre la famille royale à la suite du premier exil, puis de l’abandon de son père, avait fait place à une compassion profonde pour les affronts qu’une assemblée sans grandeur et sans courage faisait endurer au roi, et pour les mesquines humiliations de la captivité où, depuis la fuite de Varennes, toute la famille royale était tenue. Cette compassion ne s’exhalait pas en lamentations stériles. Un jour, Mme de Staël fit venir Malouet et lui soumit un plan qu’elle avait formé pour l’évasion du roi et de la reine. Elle voulait acheter une terre qui était à vendre près de Dieppe. Elle s’y rendrait deux fois, emmenant à chaque fois avec elle, outre son fils qui avait l’âge du dauphin, un homme qui aurait à peu près la taille du roi, et deux femmes, dont l’une à peu près semblable à Marie-Antoinette, l’autre à Mme Elisabeth. Au troisième voyage, elle aurait laissé son fils à Paris et emmené toute la famille royale. Mais la reine refusa d’entrer dans ce projet. L’excès du malheur avait jeté comme un voile devant ses yeux, et, à travers ce voile, elle ne savait plus distinguer entre ses véritables ennemis, acharnés à sa perte, et ceux qui avaient pu, au début de la révolution, blâmer la politique de la cour, mais qui avaient horreur des crimes qui se préparaient. Quelques jours après survenaient les événemens du 20 juin, puis ceux du 10 août. Mme de Staël demeura à Paris jusqu’au 1er  septembre, moins occupée de se mettre en sûreté que de sauver ses amis, dont plusieurs, entre autres MM.  de Lally et de Jaucourt, lui durent la vie. Elle quitta enfin Paris le jour où commençaient les massacres, et arriva à Coppet au commencement de septembre 1792.

Si les quelques semaines de son premier séjour à Coppet avaient été déjà singulièrement pénibles à Mme de Staël, que fut-ce de cette vie nouvelle, dont la paisible uniformité contrastait si fort avec les émotions et les dangers auxquels elle échappait. Il n’y a point pour les natures actives et généreuses d’épreuve plus difficile à supporter que celle d’une inaction et d’une sécurité factices au milieu des périls publics. Ce petit coin du pays de Vaud devait jouir quelques années encore, entre la France livrée à l’anarchie, la Savoie et le territoire de Genève, bientôt envahis par les armées révolutionnaires, d’une tranquillité qui en faisait un port de refuge singulièrement envié. Mais c’était cette tranquillité même qui pesait à Mme de Staël et qui lui arrachait des cris d’un ennui éloquent. Parfois, au milieu de cette oasis silencieuse, elle regrettait Paris, où l’échafaud se dressait déjà en permanence et elle était tentée d’y retourner, entraînée par le plus noble des mobiles, celui de rendre service aux amis qu’elle y avait laissés.