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remplies tout entières des adresses que lui faisaient parvenir les municipalités des plus petites comme des plus grandes villes de France. J’en choisis une hasard qui émane d’un petit hameau de Bretagne :


Monseigneur,

Veuillez bien accueillir l’assurance de notre reconnoissance et de notre amour. Nous vous l’offrons avec une confiance sans bornes. Votre retour vient mettre le comble à l’allégresse qui a succédé dans nos cœurs aux sentimens de l’angoisse la plus accablante. Un deuil affreux couvrait la France et nous déroboit les beaux jours que vos lumières et vos vertus nous avoient promis. Votre présence, Monseigneur, achève de la dissiper. Restez avec nous, rendez-nous heureux ; ne soyez plus sensible aux traits de l’envie. Le zèle patriotique dont vos grandes vues ont embrasé la France les a brisés. Aux pieds de Louis XVI, entouré de citoïens, quel monstre oseroit vous attaquer ? Pour notre bonheur, pour la gloire du monarque, demeurez auprès de lui. Jouissez-vous même d’une place que vous seule pouvez occuper. Elle vous est assignée dans la postérité comme à Sully, près d’Henri IV. Nous sommes avec un profond respect, Monseigneur, vos très humbles et très obéissans serviteurs,

Les Habitans de Rhuis en Bretagne.


Comment cette popularité si grande devait-elle s’user si rapidement que le départ de M. Necker, au mois de septembre 1790, passa presque inaperçu au milieu des événemens qui se pressaient ? Ce fut par la résistance consciencieuse, quotidienne, infatigable, qu’il opposa pied à pied à la manie de désorganisation dont l’assemblée constituante était envahie ; ce fut par l’indépendance de son langage et de son opposition aux caprices populaires de cette cohue délibérante, devenue par l’enivrement de son pouvoir aussi impatiente de la vérité que jamais souverain absolu ait pu l’être. Il n’y a pas, dans la carrière politique de M. Necker, de période plus obscure que celle de ces quatorze mois, et il n’y en a pas non plus qui lui fasse plus d’honneur par la fermeté sans espoir et sans récompense avec laquelle il combattit des mesures populaires dont il prévoyait les effets funestes. Ce « fichu bourgeois, » pour reprendre l’élégante expression de M. le comte d’Artois, s’efforça de mettre obstacle aux conséquences injustes que comportaient les résolutions précipitées de la nuit du à août, et fit ressortir dans un mémoire tout ce qu’avait de ridicule la prétention d’abolir les titres. Ce républicain (car le côté droit de l’assemblée l’accusait de