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préoccupation, plus lascive au fond que la liberté de l’homme du monde ; en tout cas, ces précautions sont de celles qui aggravent le mal, ou du moins le décèlent, le mettent à vif. Une tendresse excessive à la tentation se laisse conclure de cette crainte exagérée de la beauté, de ces interdictions contre la toilette des femmes et surtout contre les artifices de leurs cheveux, qui se retrouvent à chaque page des écrits montanistes. La femme qui, par le tour le plus innocent donné à sa chevelure, cherche à plaire et amène cette simple réflexion qu’elle est jolie, devient, au dire de ces âpres sectaires, aussi coupable que celle qui excite à la débauche. Le démon des cheveux se charge de la punir[1]. L’aversion du mariage venait des motifs qui auraient dû y pousser. La prétendue chasteté des encratites n’était souvent qu’une inconsciente duperie.

Un roman qui fut sûrement d’origine montaniste, puisqu’on y trouvait des argumens pour prouver que les femmes ont le droit d’enseigner et d’administrer le sacremens[2], roule tout entier sur cette équivoque passablement dangereuse. Nous voulons parler de Thécla. Bien autrement scabreux et irritant est le roman des saints Nérée et Achillée ; on ne fut jamais plus voluptueusement chaste ; on ne traita jamais du mariage avec une plus naïve impudeur. Qu’on lise, dans Grégoire de Tours, la délicieuse légende des deux Amans d’Auvergne ; dans les Actes de Jean, le piquant épisode de Drusiana ; dans les Actes de Thomas, le récit des Fiancés de l’Inde ; dans saint Ambroise, l’épisode de la vierge d’Antioche au lupanar ; on comprendra que les siècles qui se nourrirent de tels récits purent, sans mérite, se figurer avoir renoncé à l’amour profane. Un des mystères le plus profondément entrevus par les fondateurs du christianisme, c’est que la chasteté est une volupté et que la pudeur est une des formes de l’amour. Les gens qui craignent les femmes sont, en général, ceux qui les aiment le plus. Que de fois on peut dire avec justesse à l’ascète : Fallit te incautum pietas tua ! Dans certaines parties de la communauté chrétienne, on vit paraître, à diverses, reprises, l’idée que les femmes ne doivent jamais être vues, que la vie qui leur convient est une vie de réclusion, selon l’usage qui a prévalu dans l’Orient musulman. Il est facile de voir à quel point, si une telle pensée eût prévalu, le caractère de

  1. Eclogœ ex scripturis propheticis (dans les Œuvres de saint Clément), 39, pensée de Tatien.
  2. Tertullien, de Bapt., 17 ; saint Jérôme, de Viris ill., 7. L’épisode du « lion baptisé » consistait probablement en ce que le lion qui, dans l’amphithéâtre, refusait de dévorer Thécla recevait le baptême de celle-ci comme bon chrétien. (Saint Ambroise, de Virginibus, II, 3.) L’origine montaniste de ce roman explique que Tertullien, qui était de la coterie, en ait eu ai vite connaissance.