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souvenirs sont exacts. Le voilà parti pour sa grande aventure et touchant la terre promise. Ce bois de palmiers qu’habite seul, couché dans une mare du Nil, le colosse de Rhamsès, c’est l’enceinte de Memphis ; ce plateau de Saqqarah, là-haut sur la colline, c’est la nécropole de l’ancienne capitale. Là se cache le trésor, là Mariette s’établit, en plein désert, dans la vénérable cabane où il ne revenait jamais sans émotion. Il y passa trois années, les années maîtresses de sa vie, dures, horribles, et qui plus tard remontaient bénies et lumineuses dans son souvenir. Ce fut la crise de lutte que traverse tout homme marqué pour une œuvre, l’heure où il dépense sa part des forces éternelles. Les trois mois d’angoisse de Christophe Colomb entre Palos et San Salvador, Mariette les connut pendant deux ans, tandis qu’il cherchait son monde dans le sable, cet autre océan dont les vagues, roulées par le khamsin, recouvraient sans trêve la piste entrevue. Tout conspirait contre lui, les élémens, le désert, les hommes, la maladie, l’ophtalmie, cette plaie d’Égypte, qui menaça à plusieurs reprises de clore les yeux du chercheur, usés sur les hiéroglyphes. La misère le paralysait : les 8,000 francs avaient vite fondu, les ouvriers fuyaient ; il vivait d’emprunts faits aux juifs d’Alexandrie avec le secours de notre digne consul, M. Delaporte, de la vente de quelques bijoux d’or, glanés dans les premières sépultures découvertes. D’odieuses intrigues se tramaient au séraï du Caire : on tenta de faire assassiner l’inoffensif savant, le croyant riche de ses rapines souterraines. Et tout cela n’était rien, mais l’agonie de l’esprit, la perte incessante du fil conducteur, la voie égarée dans les allées de sphinx, le but entrevu et fuyant, le doute affreux sur son calcul, sur son idée, le cauchemar de mourir avant de toucher le port, que dire de ces tortures ? Rien, sinon qu’il serait difficile d’exagérer la force morale de l’homme qui en est sorti vainqueur. C’était de sa bouche qu’il fallait entendre le récit de l’épreuve et mieux encore celui du triomphe ; quand, dans la nuit du 12 novembre 1851, une porte ayant été dégagée du sable, les torches des Arabes illuminèrent soudain la profondeur des galeries et les sarcophages géans des chapelles, couvertes de pages d’histoire ; quand le solitaire de Saqqarah, tremblant, croyant à un rêve, à tâtons dans les froides ténèbres qui éteignaient les torches, marqua le premier un pas humain à côté de l’empreinte laissée sur le sable, il y a deux mille ans, par le dernier pèlerin sorti du Sérapéum. Il est vrai de dire que ce récit, Mariette l’achevait rarement sans peine : avant qu’il pût finir, sa voix devenait sourde, humide, quelque chose l’étranglait.

Après cette grande victoire, le désert s’avoua conquis et rendit