Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandes dépenses, elle fit, par l’intermédiaire de M. Necker, parvenir à la jeune femme d’amicales représentations. C’est ce qui résulte de cette lettre familière, adressée par Mme de Staël à son mari :


Ce lundi. Saint-Ouen.

Je te prie, mon cher ami, d’inviter Mme de Simiane pour notre dîner de jeudi. Ce n’est pas une personne de plus qui augmente un dîner, et quoi qu’on en dise, nous ne nous ruinerons pas. Cet on, au reste, n’est à dédaigner. C’est tout simplement la reine qui a fait dire à mon père par M. de Castries qu’elle craignoit que nous ne nous dérangeassions et qu’il prît garde à nous. Voilà mon père qui a saisi cette occasion pour me moraliser, car il a été fort frappé de l’avertissement et surtout fort touché de la bonté de la reine. Il t’en parlera sûrement, mais je ne crois pas qu’il te le dise aussi vivement qu’à moi, car je trouve comme lui qu’on est embarrassé de dire qu’on aime des personnes de ce rang-là : il y a tant de gens qui le feignent. Dans le fait j’ai toujours remarqué qu’il la louoit avec une manière à lui sur la justesse de son esprit, sur son élévation, sur sa bonté, qu’il repoussoit toute espèce d’attaque qu’on vouloit lui faire en sa présence et surtout qu’il devenoit triste quand on lui disoit qu’elle lui avoit conservé de l’intérêt. Le talent des femmes, c’est les observations fines, et je devine tous les mouvemens de ce que j’aime.

Tu vas demain à Versailles ; tu feras mes complimens à M. de Vergennes ; cela lui fera plaisir[1]. Tu voudras bien ordonner le dîner. Seize entrées me paraissent suffisantes ; les leçons de la reine opèrent comme tu le vois. Adieu, mon cher ami.


Ces sentimens bienveillans de la reine pour M. Necker et pour sa fille devaient recevoir une première atteinte lors du différend public de M. Necker avec M. de Calonne. On sait que, dans son discours d’ouverture à l’assemblée des notables de 1787, M. de Calonne mit en doute, implicitement du moins, l’exactitude du Compte-rendu en évaluant à 110 millions le déficit annuel qu’il accusait, mais en s’efforçant d’établir qu’au moment où M. Necker était sorti des affaires, ce déficit montait déjà à 60 millions. Piqué au vif de se voir attaquer ainsi dans son exactitude de calculateur et dans sa loyauté d’homme public, M. Necker sollicita du roi la faveur d’une discussion contradictoire devant l’assemblée des notables, et ne pouvant l’obtenir, il publia en réponse aux assertions de M. de Calonne un Mémoire justificatif. Le roi avait fait dire à M. Necker de demeurer tranquille en l’assurant qu’il tenait le Compte-rendu pour fidèle. Il fut

  1. Les relations de M. Necker et de M. de Vergennes étant des plus mauvaises, il ne faut évidemment voir dans cette commission qu’une plaisanterie.