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Bagdad, la Tisiphone s’embossa, en dehors, par petit fond, pour y rester tant que le calme le permettrait. En même temps on armait en guerre le petit vapeur de commerce l’Antonia, en mettant à bord deux pièces d’artillerie, une de 12 et une de 4, avec les hommes chargés de ces pièces et un peloton de carabiniers. Les hommes et l’équipage étaient fournis par les matelots de l’Adonis et de la Tisiphone. L’enseigne de vaisseau de la Bédollière, un des officiers de la Tisiphone, avait le commandement de l’Antonia. Sa mission était de concourir à la défense de Matamoros en agissant aux abords du fleuve, près de la ville. Il avait à recevoir les ordres du général Mejia, mais, fidèle à son rôle de marin, ne devait assister la ville que par eau. L’Antonia partit le matin du 9 novembre de la rade de Rio-Grande pour Matamoros, et sa traversée ne devait pas s’accomplir sans incidens. À une heure de l’après-midi, à un endroit où la rive est haute et touffue, l’Antonia fut saluée par une fusillade des plus vives. Précisément, par suite d’un faux coup de barre, le bateau échouait. Il resta dix minutes sous le feu et y répondit si vigoureusement que les assaillans se retirèrent pour nous fusiller de plus loin. Cette fois on leur envoya des coups de mitraille et ils s’enfuirent dans la plaine à toute bride, au nombre de deux cents cavaliers. Quelque temps après, deux de ces cavaliers passèrent dans une barque derrière l’Antonia, abordèrent au Texas, et de la rive américaine adressèrent au vapeur sept coups de feu. L’Antonia continuant sa route, longeait le Tampico, chargé d’Américains et amarré sur la rive mexicaine. Un morne silence accueillit les Français, tandis qu’au contraire les cavaliers libéraux communiquaient bruyamment avec le vapeur. Un instant, l’Antonia fut dominée par un canon placé à un endroit où la berge était fort élevée. L’ennemi, animé à la lutte, avait oublié ses habitudes de prudence et tirait à découvert. On voyait les chemises rouges et les chapeaux à bordure blanche des hommes de Cortina et de Canales. Les matelots furent admirables sous cette pluie de feu. Deux tombèrent grièvement blessés. Le vapeur l’Eugénia venait alors au-devant de l’Antonia, qu’il escorta jusqu’à Matamoros et qui ne fut plus inquiétée. Seulement quand nous arrivâmes à Brownsville devant le camp des Américains, toutes leurs troupes étaient sur le bord nous regardant passer. Ils semblaient consternés de nous voir et ne poussaient pas un cri. En revanche, les cavaliers qui avaient traversé le Rio-Grande cavalcadaient dans le camp et échangeaient des saluts et des poignées de mains avec les officiers américains.

Le commandant Cloué écrivit de nouveau au général Wetzel. En lui exposant que, selon ses ordres, l’Antonia n’avait pas répondu aux coups de feu partis de la rive texienne, il lui notifiait que,