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À ce double titre, il serait le champ d’expériences le plus parfait que l’on pût choisir.

« Poser la question sur un tel terrain, appliquer toutes nos forces à la résoudre complètement et dans un délai relativement court, ne reculer dans cette entreprise devant aucun sacrifice, dans les limites du possible, tel est, selon moi, le meilleur moyen de satisfaire au vœu de la loi. »

Malheureusement ces sages conseils n’ont pas été suivis, et pour avoir voulu frapper les imaginations en se montrant partout à la fois, on s’est exposé à faire méconnaître l’importance de l’œuvre entreprise et à faire douter de son succès.


III

Nous avons plusieurs fois déjà signalé le pâturage comme la cause principale de la dégradation des Alpes et l’obstacle le plus sérieux à leur restauration ; le moment est venu d’examiner les conditions dans lesquelles il s’exerce et de rechercher les moyens d’en atténuer les désastreux effets.

Les pays de montagne en général et les Alpes en particulier sont des contrées pastorales. L’élève du bétail y est le mode d’exploitation de la terre le plus naturel et la base de l’économie rurale. La place naturelle des pâturages est sur le sommet des montagnes, dans le voisinage des glaciers, au-dessus des limites où la végétation ligneuse est possible ; c’est là que l’herbe pousse avec le plus de vigueur et donne aux bestiaux une nourriture abondante et substantielle. Au-dessous, sur les flancs de la montagne, se trouve la zone des forêts ; c’est elle qui maintient les terres, empêche les ravinemens et protège contre l’action destructive des torrens les régions inférieures qu’occupent d’ordinaire les villages et les champs labourés. Cette distribution naturelle a, comme nous l’avons dit, trop souvent été bouleversée par l’imprévoyance des populations. La zone des pâturages a été autrefois boisée, et si le gazon a pu y former les magnifiques pelouses qu’on y voit aujourd’hui, c’est qu’il a végété à l’abri des forêts clairiérées de mélèze et de pin cembro, essences des hautes régions qui résistent à des froids de 40 degrés. Les souches nombreuses qu’on rencontre attestent qu’autrefois les arbres ont occupé ce sol aujourd’hui incapable de les nourrir. C’est que la limite supérieure de la forêt descend tous les jours, si bien que, dans le Dauphiné, elle ne s’élève pas aujourd’hui à une hauteur supérieure à 1,800 mètres, après avoir autrefois atteint celle de 2,500 mètres. Ce n’est pas à un changement de climat qu’il faut attribuer ce résultat, c’est à l’homme seul qu’on en est redevable. L’incurie