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Quand il traversait l’Hellespont, Alexandre n’était encore que le capitaine d’une armée d’aventure ; le consentement unanime des peuples l’a fait roi aujourd’hui de toutes les parties de l’empire d’où s’est retiré Darius. L’administration seule a changé de mains ; les habitans ne s’aperçoivent guère qu’à l’allègement soudain du fardeau qu’ils ont changé de maître. La personne même de Darius semble s’être évanouie avec sa puissance. Au fond de quelles provinces l’infortuné monarque est-il allé cacher sa honte et sa défaite ? Alexandre s’évertue en vain à le découvrir ; c’est un point d’honneur, chez les Perses de garder le secret du prince. Tout à coup le bruit de levées lointaines arrive jusqu’en Égypte. Alexandre était déjà sur la route de Cyrène ; peut-être allait-il pousser jusqu’à Carthage, quand il apprend que les Bactriens, les Sogdiens, les Saces et les Massagètes se sont mis en marche. Tous les peuples de l’extrême Orient accourent au rendez-vous qui leur a été donné sous les murs de Babylone. Alexandre quitte l’Égypte et revient précipitamment à Tyr. Il en repart au mois de juillet de l’année 331. Son armée se compose de quarante mille fantassins et de sept mille cavaliers. Les Grecs ne mettent jamais en mouvement de grandes masses ; leurs troupes en revanche comptent peu de non-valeurs.

Bien qu’un vaste désert sépare la côte de Syrie des bords de l’Euphrate, il est facile de contourner cette région désolée et d’atteindre par le nord le gué de Thapsaque. L’armée de Cyrus le Jeune arriva de Myriandre à Thapsaque en douze étapes, après avoir parcouru environ 358 kilomètres, — 29 kilomètres par jour ; — les privations ne commencèrent que sur la rive gauche du fleuve. L’Euphrate n’avait arrêté ni Sargin venant de Khorsabad, ni Nabuchodonosor parti de Babylone. Un seul souverain de Ninive a franchi vingt-deux fois dans le cours de son règne l’insuffisant boulevard de la Chaldée. Le fleuve qui prend naissance au pied des monts de l’Arménie n’opposera donc jamais qu’un obstacle peu sérieux à l’invasion. C’est sans doute un très large fleuve, débitant un très gros volume d’eau, puisqu’à Bir même, bien au-dessus de Thapsaque et de Kerkémish, on a pu le comparer « au Rhône devant Lyon ; » mais le lit de l’Euphrate est généralement embarrassé de bancs de sables ; les kéleks qui le descendent ne sont encore comme au temps d’Hérodote, que des radeaux soutenus par des outres. Les soldats de Cyrus le Jeune traversèrent l’Euphrate à Thapsaque, sans que l’eau leur montât plus haut que la poitrine. La circonstance, il est vrai, fut exceptionnelle ; les habitans déclarèrent que jamais jusqu’à ce jour l’Euphrate n’avait été guéable et n’avait pu se traverser sans bateaux. Moins favorisé que Cyrus, Alexandre dut se préparer à jeter deux ponts sur le fleuve. La