Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

militaires et les fonctionnaires de tout grade, jusqu’au plus modeste des scribes attachés à l’administration. Quant aux Égyptiens qui n’appartenaient pas à cette espèce d’aristocratie, il leur fallait se contenter à meilleur marché. Les moins pauvres s’assuraient tout au moins un embaumement sommaire et un coffre de bois ou de carton où leurs restes reposeraient, accompagnés de scarabées et d’amulettes protectrices qui les défendraient contre les méchans génies ; les figures peintes sur le coffre concouraient aussi à protéger ce dépôt. En avait-on le moyen, on achetait une place dans des hypogées banaux ; les momies, entassées par piles les unes sur les autres, y étaient confiées aux soins de prêtres qui desservaient en bloc toute une chambrée.

Ceux qui pouvaient se procurer ces avantages étaient d’ailleurs encore parmi les favorisés de la fortune ; bien des petites gens ne pouvaient espérer même ce minimum d’honneurs funéraires. Aux abords de toutes les nécropoles, à Thèbes comme à Memphis, on rencontre des corps déposés en plein sable, à deux ou trois pieds de la surface. Quelques-uns sont empaquetés dans une espèce de bourriche en feuilles de palmier ; d’autres sont à peine enveloppés de quelques morceaux de linge. Les cadavres ont été trempés à la hâte dans un bain de natron ; ils sont salés plutôt qu’embaumés. Parfois même ces quelques précautions n’ont pas été prises ; il n’y a aucune trace ni de cercueil en bois, ni même de linges ; les corps ont été mis nus en terre ; il semble que le sable seul ait été chargé du dessèchement, et c’est à l’état de squelettes qu’on retrouve les morts. On a là l’équivalent de ce que nous appelons la fosse commune.

En revanche, les heureux de cette terre, ceux qui étaient assez au large dans cette vie pour pouvoir s’y mettre aussi dans l’autre, ne regardaient à aucune dépense quand il s’agissait de leur sépulture. On ne se laissait pas surprendre par la mort, comme il arrive si souvent chez nous ; roi ou simple particulier, on commençait de son vivant, bien longtemps à l’avance, et l’on faisait exécuter sous ses yeux le tombeau où l’on voulait reposer. La prévoyance du vivant et plus tard la piété des siens n’épargnait rien pour embellir et pour meubler somptueusement cette demeure que ne quitterait plus son propriétaire. Les palais des princes et des riches étaient assez légèrement bâtis pour n’avoir pas laissé de traces sur le sol de l’Égypte ; les tombeaux sont souvent restés intacts jusqu’à nos jours, et ce sont eux qui nous livrent les trésors de son art. Tous les autres peuples du monde ancien ont suivi cet exemple ou, pour mieux dire, pénétrés de ces mêmes sentimens, ils ont, sans se concerter, pris le même parti. Lorsque les modernes ont ouvert des tombes antiques qui, par bonheur, étaient encore intactes,