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rendre compte d’un état d’esprit qui différait profondément de celui que nous ont fait le travail des siècles et le progrès de la pensée. Ces premiers hommes n’avaient pas une assez longue expérience des choses et une assez grande puissance de réflexion pour distinguer ce qui est possible de ce qui est impossible ; ils ne faisaient point de différence entre la nature vivante et ce que nous appelons les objets inanimés ; ils ne pouvaient concevoir l’existence dans des conditions autres que celles où ils se sentaient eux-mêmes placés, et ils attribuaient à tout ce qui les entourait une âme semblable à la leur. Il ne leur en coûtait donc pas plus de prêter la vie à ces serviteurs en peinture qu’à la momie et à la statue du défunt, qu’à ce fantôme qu’ils nommaient le double. Ne paraît-il pas aussi naturel à l’enfant de battre, pour la punir, la table où il s’est heurté que de parler avec tendresse ou colère à la poupée qu’il tient dans ses bras ?

Ce don de tout animer et de tout personnifier, aujourd’hui le poète seul le partage avec l’enfant ; mais alors il subsistait tout entier jusque dans la pleine maturité de l’âge ; l’imagination avait ainsi chez tous les hommes une puissance inconsciente qui dépassait de beaucoup ce que nous admirons chez les plus grands mêmes de nos poètes. Dans l’effort que l’on faisait pour ne laisser manquer de rien ce pauvre mort qui ne pouvait plus s’aider lui-même, on ne se contenta donc pas de ces alimens et de ces meubles figurés sur les murs ; malgré tout l’espace qu’ils couvrent et la variété qu’ils présentent, ils restent toujours en nombre limité. On avait comme la secrète impression qu’ils pourraient finir par s’épuiser et par ne plus suffire à des besoins éternellement renaissans. On fit donc un pas de plus dans la voie où l’on s’était engagé ; par une fiction plus étrange encore et plus hardie, on attribua à la prière le pouvoir de multiplier et de renouveler indéfiniment, par la vertu magique de termes consacrés, tous ces objets de première nécessité qui étaient indispensables à l’hôte de la tombe.

Toute tombe comporte une stèle, c’est-à-dire une dalle de pierre, dressée verticalement, dont la forment la place varient suivant les-époques, mais qui a toujours même caractère et même destination. La plupart des stèles sont ornées de peintures ou de sculptures y toutes portent une inscription plus ou moins compliquée. Dans le cintre qui en forme la partie supérieure, — nous prenons ici la forme la plus ordinaire, — le mort suivi de sa famille présente les objets de l’offrande à un dieu qui est le plus souvent Osiris ; au-dessous se lit une inscription dont la formule, toujours la même, est ainsi conçue : « . Offrande à Osiris, — ou à tel autre dieu, — pour qu’il donne des provisions en pains, liquides, bœufs, oies, en lait,