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sentimens sont froids. On ne crée pas artificiellement une dynastie lorsqu’elle ne sort pas des entrailles d’une nation, lorsqu’elle n’a pas été mêlée à la formation de la patrie, elle est le produit d’un accident ; un autre accident peut l’emporter. Le roi George, qui est doué d’un bon sens très sûr, se rend fort bien compte de la fragilité de son pouvoir. C’est pourquoi, loin d’en abuser, il hésite même à en user. Il est le type et le modèle du souverain constitutionnel, régnant sans gouverner. Son action sur les affaires publiques est nulle. Si elle ne Tétait pas, il y aurait bientôt une révolution. Durant mon séjour à Athènes, tout le monde m’affirmait qu’une grande déception nationale aurait pour infaillible résultat le renversement de la royauté. Les peuples vaincus se vengent toujours de la défaite sur les dynasties qu’ils n’aiment pas ou qui leur sont étrangères. Le roi George ne peut conserver son trône qu’en renonçant à toute autorité réelle, qu’en gardant une réserve incessante, qu’en laissant naître et crouler les ministères sans intervenir jamais directement ou indirectement dans leur existence agitée. Tous les pouvoirs appartiennent donc à une chambre unique, omnipotente, qui ne connaît aucune barrière, aucun contre-poids. Elle fait et défait chaque jour des cabinets qui n’ont à tenir compte que de ses volontés ou de ses caprices. A côté d’elle, il n’y a ni royauté véritable, ni aristocratie de naissance ou d’argent, ni chambre haute plus ou moins artificielle. De là cette mobilité excessive que l’on a reprochée à la politique grecque et qui pourrait bien être la conséquence inévitable, d’un régime démocratique poussé à l’extrême, dépourvu de tout tempérament, de tout frein, suivant avec docilité les fluctuations d’une opinion toujours changeante et toute-puissante néanmoins dans chacun de ses changemens.

Il semble qu’à un pays aussi démocratique que la Grèce la république conviendrait mieux que la monarchie. Puisque la dynastie n’est pas nationale, puisque son rôle est presque réduit à la nullité, pourquoi ne pas essayer de s’en passer ? Cette question, les Grecs ont assez d’esprit politique pour ne pas se la poser. Il y a peu, très peu de républicains à Athènes ; il ne devrait pas y en avoir du tout. Le jour où la Grèce essaierait de se constituer en république, il est fort probable qu’elle se disloquerait. Si étranger qu’il soit, le roi George est le lien qui maintient l’unité de la patrie. Que ce lien se brise, les divisions éclateront aussitôt. Le fond du caractère grec n’est pas seulement, en effet, l’amour de l’égalité, c’est encore l’amour presque exclusif du clocher. L’esprit particulariste, comme je l’ai déjà dit, est aussi vif aujourd’hui en Grèce que dans l’antiquité. Chaque province, chaque village déteste ses voisins. Pendant de longues années la constitution d’un ministère était une opération des plus compliquées, attendu