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vieilles murailles d’où se dégagent, comme une apparition exquise, les plus beaux débris de l’art humain. Heureusement l’Acropole apparaît presque partout. Lorsqu’on est fatigué d’errer dans l’Athènes contemporaine, un seul regard vous transporte dans ce passé lointain dont l’image, encore vivante après tant de désastres, brille d’un incomparable éclat sur la cité qui l’entoure. Au milieu d’une mer de maisons sans goût, la colline de l’Acropole est comme une île enchantée vers laquelle on se retourne sans cesse et qu’on ne contemple jamais sans émotion.


II

Une des choses qui frappent le plus dans l’Athènes moderne, c’est l’austérité qui y règne ou qui semble y régner. Je dis qui semble y régner, parce que bien des personnes m’ont affirmé que cette austérité n’était qu’apparente et que la corruption cachée égalait, si elle ne dépassait pas celle des villes, les plus licencieuses de l’Europe. Je dois néanmoins à la vérité d’avouer que ces personnes étaient étrangères comme moi, qu’elles ne connaissaient pas Athènes mieux que moi et que leurs renseignements ont tout juste la valeur d’une hypothèse. En supposant d’ailleurs qu’elles aient raison et que la vertu ne soit chez les Athéniens qu’une forme de la vanité, cette bonne tenue extérieure, qui contraste si fort avec les mœurs de presque toutes les capitales occidentales, n’est-elle point remarquable ? Au moment où j’y suis passé, Athènes était une ville militaire : c’est toujours une ville d’université. On n’y voit pourtant pas des cafés et des brasseries du genre de ceux qui pullulent dans nos villes de garnison et du quartier Latin. Les étudians y abondent, les étudiantes y sont inconnues. Cette sévérité d’habitudes est une des causes du succès de l’université d’Athènes dans le monde hellénique. Beaucoup de familles qui enverraient leurs fils faire des études à Constantinople ou à Paris, si elles y trouvaient les mêmes garanties, préfèrent les envoyer à Athènes, parce qu’elles sont sûres qu’ils y mèneront bon gré mal gré une vie régulière. L’occasion fait le larron ; à Athènes, l’occasion ne se présente presque jamais. Le vice, s’il existe, est forcé de se dissimuler tellement, d’employer tant de ruses, de se couvrir de masques si épais, qu’il devient d’une pratique singulièrement difficile. C’est un luxe auquel tout le monde ne peut prétendre. J’ignore ce qui se passe dans les familles, je n’ai pas percé le mur de la vie privée ; mais je ne connais pas de ville dont l’extérieur soit plus correct et où le désordre soit moins visible. Des moralistes relâchés trouveraient peut-être même que cette rigidité donne à Athènes un air un peu triste, un peu éteint, et que les Athéniens