Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaires, il pourra avoir un rôle utile. D’un autre côté, le parti qui avait la prétention de relever en plein Paris le drapeau de la commune a essuyé la plus complète déroute. Le plus grand nombre des anciens conseillers ont été réélus, il est vrai ; en définitive cependant, s’ils n’ont rien perdu, ils n’ont rien gagné, et ils reprennent leur mandat dans des conditions qui ne sont plus les mêmes. — Des conservateurs approchant du succès, quelques hommes nouveaux d’un esprit modéré entrant dans l’assemblée municipale de Paris, la commune désavouée une fois de plus et vaincue, les anciens conseillers placés sous l’influence d’un mouvement peut-être inattendu, ce sont là quelques-unes des particularités les plus significatives de ce curieux scrutin. Si on voulait le caractériser sans exagération, on pourrait dire qu’il marque un temps d’arrêt dans la voie du radicalisme, qu’il est un avertissement. Ce n’est rien de plus si l’on veut, ce n’est après tout rien de moins.

Elles seraient certainement heureuses, ces élections de Paris, si, même sans changer la majorité numérique d’un conseil, elles avaient simplement pour résultat de dissiper quelques fantasmagories, démontrer ce qu’il y a de vain, de contraire au bon sens d’une population tout entière, dans ces exhibitions et ces arrogances qui se donnent pour de la politique. Depuis quelque temps en effet, on dirait qu’en dehors de la vie ordinaire, de la vie de tout le monde, il s’est formé dans quelques régions échauffées une vie étrange de convention où tout est artificiel et incohérent, hommes, idées, passions, actes et langage. C’est une atmosphère absolument factice. De ce qui peut préoccuper le pays, des affaires du jour, des questions d’un ordre pratique, des réformes sérieuses, on n’en a naturellement nul souci, ou l’on n’y touche que pour altérer les choses les plus simples. En fait de politique radicale, tout se réduit à des exhumations, à des processions d’amnistiés, à des réhabilitations de la guerre civile, à des délations, à des menaces de revanche. On croit intéresser ou passionner le public ; cela ressemble tout simplement à une représentation de tréteaux où il ne manque que les costumes de circonstance. Ce n’est ni intéressant ni même nouveau. Jadis, aux beaux temps de 1848, un de nos plus ingénieux et de nos plus éloquens amis, Émile Montégut, faisait passer, dans une sorte de revue de nuit de Walpurgis, ce qu’il appelait les« fantômes de la démagogie, » et dans ce monde bizarre il montrait le vide, le néant, la stérilité. Les « fantômes de la démagogie » n’ont pas entièrement disparu, ils ont seulement vieilli. Ils se promènent par la ville, ils ont même quelquefois des vêtemens féminins ; ils vont dans les réunions publiques et ils font des discours où ils promettent la révolution sociale. Ils ne manquent pas aux enterremens, ils étaient, l’autre jour, aux obsèques de Blanqui, « le grand martyr, le vieux lutteur, » comme disent les uns, — « le pauvre vieux, » comme disent les autres. Qu’on respecte les morts, rien certes de plus naturel et de plus légitime ; mais n’est-ce pas une idée