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la politique et que le personnel en eût changé six fois. Suivons les événemens qui seraient issus de ce point de départ. L’inamovibilité suspendue par les deux chambres, le gouvernement forcé d’obéir à leur vœu, renouvelant de fond en comble le personnel, et une magistrature de parti rendant pendant toute la restauration une justice mise en suspicion par la grande majorité du pays, voilà les suites immédiates de cette première faute. Les autres conséquences n’eussent pas été moins graves. Le gouvernement de juillet n’eût pas hésité à suspendre l’inamovibilité. C’eût été son devoir envers le pays. Il ne se serait pas élevé une voix parmi les libéraux pour la défendre. Aussi, pendant dix-huit ans, légitimistes et républicains se seraient réunis pour récuser la justice tout entière, et, en 1848, les premiers décrets, franchissant de nouveau cet obstacle, auraient élevé sur les débris des barricades la magistrature révolutionnaire, Aurait-on attendu quatre ans pour chasser les produits de l’émeute ? Nous en doutons fort et, dès 1849, nous sommes persuadé qu’ils auraient fait place à une magistrature composée à l’image de la majorité monarchique de l’assemblée législative. Qui peut croire un seul moment que l’auteur du coup d’état l’eût trouvée à sa convenance ? un flot de juges bonapartistes l’eût remplacée, et, en 1871, l’assemblée nationale aurait été rechercher les survivans de 1849 pour les faire, remonter sur leurs sièges. A l’heure présente, les partisans de la loi votée par la chambre des députés auraient beau jeu pour dénoncer les hôtes changeans de nos cours. Une seule faute, la faiblesse de la chambre des pairs en 1815, aurait donc changé la destinée de la magistrature et rendu irréalisable en notre siècle le principe de l’inamovibilité ; tant il est vrai qu’en politique toutes les fautes se tiennent, que les partis sont solidaires les uns des autres, et que tous vivent, comme l’a dit un jour M. Thiers, sous l’inexorable loi du talion !

Qu’on le veuille ou non, si l’épuration a lieu d’ici à quelques années en notre pays, rien n’empêchera la magistrature d’être vouée pour une longue période à l’instabilité qui atteint en France tout ce que fonde l’esprit de parti. C’est l’admirable vertu de l’inamovibilité de couvrir le juge, de l’empêcher de tomber aux mains des factions. Telle est la force de cette garantie qui est l’axe de la justice, qu’il suffit de la menacer pour ébranler tout l’édifice de nos corps judiciaires. Depuis un an, elle est en péril. Voyez ce qui se passe. La justice, ce qui est contraire à sa nature et à son devoir, s’émeut ; il est des juges dont l’impassibilité se trouble. Ce qui est inévitable chez les natures généreuses, la crainte d’être soupçonnés de complaisances envers le pouvoir qui prétend être maître demain de les proscrire, leur a inspiré une susceptibilité farouche. Des âmes viles multiplieraient les bassesses envers le gouvernement ; elles