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sa réélection. Établir le suffrage à l’entrée du prétoire, c’est mettre le magistrat à la merci du justiciable. Pourquoi aurait-on détruit les épices, s’il fallait que le plaideur offrît désormais au juge un bulletin de vote qui en tiendrait lieu ? L’exemple de l’Amérique nous sert d’enseignement et de leçon ; celui de la Suisse ne nous touche pas. Si les juges ne sont pas corrompus, leur médiocrité n’est pas douteuse. D’ailleurs, qui ne sait ce que parmi nous l’ardeur des partis allumerait de brigues ? Laissons donc de côté un système absolu que condamnent à la fois le bon sens, l’expérience et l’histoire.

Aussi les plus avisés proposent-ils des élections mitigées, en recourant à des collèges spéciaux dont le trait commun serait de faire pénétrer dans la nomination des juges l’élément populaire. Nous avons dit ce que nous pensions du mélange de la justice et de la politique. Le choix par les compagnies ne doit pas être moins sévèrement condamné. Excellente pour assurer le recrutement d’une compagnie savante, la cooptation ne saurait convenir en une démocratie pour la constitution d’un des corps de l’état. En prenant de la sorte les défauts d’une caste étrangère aux besoins et aux sentimens du dehors, la magistrature périrait sans trouver un défenseur, comme les anciens parlemens.

Ainsi nous avons écarté l’élection par le peuple, qui asservit et corrompt le juge, l’élection par les magistrats eux-mêmes, qui rétrécit l’esprit et surexcite l’intérêt personnel. Entre ces deux origines, l’une trop étendue, l’autre trop restreinte, nous trouvons le système des présentations. De nos jours, la Belgique nous en a donné l’exemple : les conseillers à la cour de cassation sont nommés sur deux listes présentées l’une par le sénat, l’autre par la cour. Les conseillers des cours d’appel, les présidens et vice-présidens des tribunaux sont choisis sur deux, listes présentées l’une par la cour, l’autre par les conseils provinciaux. Les listes sont publiées au Moniteur, et, quinze jours après, la nomination est faite par le roi. Les commissions de 1848 et de 1870 confièrent l’une et l’autre les présentations à des élémens divers tirés de la magistrature et des corps, électifs préparant en commun des tableaux de candidatures. Mais ce système n’eût-il pas provoqué des tiraillemens et les froissemens, suites inévitables de la réunion, en une même assemblée, des barreaux et des magistrats rencontrant les élus du suffrage politique ?

Et cependant, il faut éclairée le. garde des sceaux, il faut trouver un moyen de le délivrer de sollicitations effrontées qui deviennent la plaie de nos corps judiciaires. M. le duc Victor de Broglie a proposé un procédé, qu’il convient de rappeler. Il voudrait que toute vacance se prolongeât durant six mois et que pendant cet