Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que par la crainte de déplaire. S’il n’a en vue que la poursuite da juste, en faisant abstraction des personnes, il est véritablement indépendant.

L’intelligence et l’indépendance sont, les deux qualités indispensables au magistrat. En recherchant le meilleur mode de nomination, nous ne ferons que mesurer les moyens les plus efficaces pour découvrir ces qualités et en respecter l’exercice chez les hommes qui prétendent juger leurs semblables.

Parmi ceux qui ont approfondi cette matière, il y a deux opinions : les uns estiment que la magistrature doit être la profession de toute une vie, qu’on ne saurait s’y préparer trop tôt, ni s’y consacrer avec trop de soin ; les autres y voient le couronnement d’une carrière poursuivie au barreau ou dans la pratique des affaires. Cette divergence tient à ce que chacun considère le juge sous un aspect particulier. Les premiers s’occupent du caractère, les seconds s’attachent aux lumières de l’esprit. Les premiers ont pour idéal un magistrat modeste ayant hérité des mœurs et des vertus paternelles ; les seconds voient un avocat à la tête de son ordre, mettant au service de la justice l’expérience et la renommée de sa vie.

Nous pensons que tous deux ont raison et notre souhait serait de faire servir à l’autorité de la magistrature ces élémens divers, également utiles à sa constitution. Pour indiquer comment nous pourrons les faire entrer dans la composition des corps judiciaires, il faut examiner successivement les conditions d’admission dans la magistrature, ce qui nous mettra en présence des jeunes gens, et les conditions d’avancement et de nomination, dans lesquelles nous comprendrons l’entrée des jurisconsultes éprouvés.

Dans nos corps judiciaires tels qu’ils existent, le recrutement ne peut se faire exclusivement à l’aide d’avocats ayant conquis une situation personnelle. En Angleterre, il n’y a pas chaque année plus de trois ou quatre grands sièges à pourvoir ; en France, cent cinquante places au moins viennent à vaquer annuellement. Il est donc impossible de se contenter de choisir ceux que met en première ligne l’émulation du barreau. Pour les postes de début, il faut trouver des hommes qui, à l’entrée de la vie, se dévouent à la carrière judiciaire.

Les auditeurs nommés auprès des cours et des tribunaux ont formé jusqu’en 1830 une pépinière abondante. Au point de vue strictement professionnel, cette institution fut très utile, mais le mode de recrutement assurait ces places à la faveur. À ce noviciat judiciaire succéda la suppléance, tour à tour supprimée, parce qu’elle arrêtait tout avancement, et rétablie par la force des choses. La chancellerie et les parquets s’adjoignirent des attachés, jeunes stagiaires, qui devenaient peu à peu des rédacteurs habiles et