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population et la vie. C’est au milieu des inquiétudes que cause une centralisation excessive que le gouvernement accélérerait ce mouvement, en dépouillant les petits centres d’un des élémens de leur activité. Au point de vue social, ce serait une faute grave dont le contre-coup politique ne manquerait pas d’être funeste au gouvernement qui l’aurait commise.

Dans quels arrondissemens la suppression serait-elle opérée ? Si nous consultons la statistique, les tribunaux les moins occupés sont situés dans les pays de montagnes, dans des régions où la nature du terrain a empêché le développement rapide des voies de communication. Si on recule devant tant d’obstacles et qu’on propose de réduire les suppressions aux tribunaux des arrondissemens dont la viabilité est satisfaisante, on se trouvera amené à cette bizarre anomalie de maintenir les tribunaux les moins importans et d’annexer des sièges plus occupés, au risque d’exciter des jalousies légitimes et de blesser l’équité.

A côté des intérêts en souffrance, il y a des droits qui ne peuvent être impunément méconnus. Les avoués, les greffiers sont propriétaires de leurs charges. La suppression du tribunal entraîne une dépossession immédiate, une véritable expropriation. Il est impossible de leur enlever leurs charges sans indemnité préalable. Il faut donc rembourser les offices. Quel que soit le sacrifice budgétaire, que les chambres soient prodigues et votent des millions, le froissement des intérêts sera tel qu’il faudra laisser passer une génération avant de voir la plaie se guérir. Mais qu’on y prenne garde : aucun des projets de remboursement ne met la dépense à la charge exclusive de l’état. Par un calcul dont le point de départ est très équitable, on tient compte de l’augmentation du nombre des affaires au profit des avoués du tribunal du chef-lieu et on leur demande de contribuer à l’extinction des offices. Le principe est excellent, mais la mesure de cette contribution, qui osera la fixer ? Qui nous dira le nombre des affaires qui iront du tribunal supprimé au tribunal conservé ? Qui nous dira celles qui se perdront en route ? Qui pourra fonder sur une hypothèse aussi vague l’établissement d’un droit ? Et quelles que soient les bases du calcul, n’est-on pas certain d’ajouter au mauvais effet de la loi en excitant le mécontentement des officiers ministériels aussi bien dans le chef-lieu du département que dans la ville où ils sont supprimés ?

Admettons que, pour un instant, les chambres soient d’humeur à payer largement la réforme, que les indemnités apaisent ces irritations légitimes, il y a des nécessités que l’argent ne pourra pas satisfaire. Que deviendraient les intérêts supérieurs d’ordre public qui sont confiés aux magistrats ? Nous avons dit que les justiciables iraient à grands frais porter leurs procès civils au chef-lieu du