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heureux la veille de leur nouveau titre, nous parlant avec effroi du vide absolu de leurs fonctions, et des collègues dont le précoce engourdissement était l’image de ce qu’eux-mêmes, après quelques années de vie semblable, étaient condamnés à devenir ! — Quand on songe que, dans ces postes de début, où presque tous les magistrats passent, une élite seulement échappe à cette consomption intellectuelle, on ne s’étonne plus que la chancellerie, dans l’intérêt même de la magistrature, ait poursuivi pendant dix ans sous tous les ministères la recherche d’une solution.

La première pensée qui se présente à l’esprit est la suppression des tribunaux les moins occupés. On montre la statistique de tel siège où vingt affaires civiles sont inscrites au rôle annuel ; on demande s’il est possible de conserver un personnel complet pour une telle juridiction et on attend avec confiance la réponse du législateur. — A quelles limites faut-il s’arrêter ? supprimera-t-on les douze, les cinquante, les cent tribunaux les moins chargés ? Ici commence l’hésitation les plus hardis n’ont pas ces scrupules : ils proposent 1 ! organisation d’un tribunal par département, et suppriment sans pitié tous les tribunaux d’arrondissement.

Nous n’admettons aucun de ces projets. Assurément le plaideur ayant quelque aisance n’aurait pas de peine à se rendre au chef-lieu du département ; mais lorsqu’une modification législative rend les frais plus lourds, ce n’est pas aux contribuables aisés qu’il convient de penser, c’est à la masse des justiciables, à celle qui se rend en carriole, le plus souvent à pied, trouver le juge et qui a besoin de ne gaspiller inutilement ni une journée de son travail, ni une heure de son temps. Pour ceux-là, une suppression du tribunal est le plus pesant des impôts ou, pour mieux dire, c’est la justice mise hors de portée, ce sont des transactions onéreuses qu’ils préféreront souscrire plutôt, que faire un voyage de deux jours.

En vain, nous montrera-t-on la ligne de fer qui relie le chef-lieu d’arrondissement au chef-lieu du département. Entre ces deux points, nous dit-on, il ne faut pas plus de temps aujourd’hui que le paysan n’en consacrait, il y a trente ans, à aller au chef-lieu de son canton. — Ce raisonnement ne s’applique qu’aux habitans de la ville. Pour eux seuls, la distance sera courte et ils ne perdront qu’une journée, mais il faut songer aux autres extrémités de l’arrondissement, aux cantons éloignés du chemin de fer, à toutes ces communes, dont les maires, les gardes champêtres, les autorités de toute sorte ont sans cesse affaire à la sous-préfecture, qui ont pris depuis trois générations l’habitude d’y trouver la justice dans ses élémens complets, l’action publique aussi bien que le juge, la solution d’une affaire civile comme la répression pénale. Aller au chef-lieu d’arrondissement, ce n’est pas se déplacer, c’est encore être