Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que dites-vous de celle-ci ? Je suis loin de la croire finie, et j’ai peur même que tout ce qu’on a fait ne serve à rien. Mais vous en avez par-dessus la tête, vous qui avez vu tout cela. Je ne veux pas vous en parler.

Vous me rendez heureuse en m’apprenant que vous êtes plus forte que vous ne pensiez. Je le pensais bien que vous vous exagériez votre faiblesse. Je crois que je tiens de vous sous le rapport de la santé : je suis sujette à de fréquentes indispositions, à des souffrances presque continuelles, soit d’une cause, soit d’une autre ; mais, au fond, je suis extrêmement forte et je suis, comme vous, d’étoffe à vivre longtems et sans infirmité, en dépit de tous ces arias de bobos dont je ne puis me défaire. Soignez-vous bien, mais ne vous figurez donc pas que vous avez cent ans ; toutes les femmes de votre âge ont l’air d’avoir vingt ans de plus que vous. En ne vous affectant pas, en ne vous laissant pas gagner par l’ennui et la tristesse, vous serez encore longtems jeune. Restez près de ma sœur tant qu’elle aura besoin de vous et que vous vous plairez dans ce pays, mais dès que vous éprouverez le besoin de changer de place et la force de le faire, venez ici. Vous y resterez dix ans si vous vous y trouvez bien, huit jours si vous vous ennuyez ; vous serez libre comme chez vous : vous vous lèverez, vous vous coucherez, vous serez seule, vous aurez du monde, vous mangerez comme bon vous semblera, vous n’aurez qu’à parler pour être obéie. Si vous n’êtes pas contente de nous, je suis bien sûre que ce ne sera pas de notre faute.

Adieu, ma chère maman, je vous embrasse de toute mon âme, ainsi que ma sœur et Oscar.

Donnez-moi souvent de vos nouvelles et des leurs.


A Monsieur Jules Boucoiran, chez Monsieur le comte Bertrand, à Châteauroux.


Nohant, 27 octobre 1830.

Je vous remercie, mon cher enfant, des deux billets que vous m’avez écrits. Je ne vous ai pas répondu plus tôt parce que j’avais trop mal au doigt. Je me doutais bien de l’exagération des rapports sur Issoudun qui nous étaient parvenus. Il en est ainsi de toutes les nouvelles, véritables cancans politiques, qui se grossissent en roulant par le monde. La vérité a toujours quelque chose de trivial qui déplaît aux esprits poétiques, et comme nous sommes dans le pays, dans la terre classique de la poésie, on ne dit jamais