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manoir perdu en pleine lande qu’à la fin de l’été de 1793, après avoir fui le Calvados où leur tentative de résistance avait échoué, Barbaroux, Pétion, Guadet, Buzot et Louvet, proscrits par la convention, furent cachés pendant quelque temps par un ami dévoué. Le propriétaire de Kervenargan hébergea courageusement les malheureux députés, qu’on traquait comme des bêtes fauves et devant lesquels toutes les portes se fermaient. Il faut lire dans les Mémoires de Louvet les pages émouvantes où l’auteur de Faublas raconte cette triste odyssée. — Les girondins avaient passé aux environs de Quimper toute une nuit, tapis dans un bois et exposés à la pluie qui tombait à verse. « Buzot paraissait accablé, Barbaroux même sentait sa grande âme affaiblie… Pétion seul, inaltérable, bravant tous les besoins, gardait un front calme au milieu de ces nouveaux périls et souriait aux intempéries d’un ciel ennemi. » Au petit matin, ils rencontrèrent sur la route un ami que Kervélégan, député de Quimper, envoyait au-devant d’eux. On les conduisit d’abord chez un curé constitutionnel qui les réchauffa, les sécha, leur servit à manger et les cacha jusqu’au soir. A la nuit tombante, ils se rendirent dans un petit bois où leurs nouveaux hôtes les attendaient et où ils se séparèrent. Salles, Cussy et Girey-Dupré s’en allèrent chez le député Kervélégan. Pétion gagna une campagne voisine, où Guadet l’attendait et où Barbaroux et Louvet devaient le rejoindre plus tard. Cette campagne, que Louvet ne nomme pas, était le manoir de Kervenargan.

En leur donnant l’hospitalité, le maître du logis exposait non-seulement sa vie, mais celle de sa femme, de ses sœurs et de parens très âgés. « Entouré d’espions, dit un contemporain (Cambry, auteur d’un Voyage dans le Finistère), il eut la fermeté de leur montrer toujours un front serein. Il appela souvent chez lui la force armée, la gendarmerie, les plus ardens dénonciateurs, dans le moment où leurs victimes n’étaient séparées d’eux que par des planches… Tous les moyens qui pouvaient écarter les soupçons se présentaient à son esprit ; on dansait deux fois par semaine au manoir de Kervenargan. Toutes les femmes du voisinage de Douarnenez étaient priées à ces fêtes ; l’étourdissement, la gaîté, tous les rapports du lendemain, éloignaient les soupçons que la vérité, qui ne se cache jamais bien, faisait naître et renaître chez tous les surveillans du district. »

La mère de Barbaroux avait trouvé moyen de rejoindre son fils dans ce refuge enfoui sous les châtaigniers et les chênes. Elle y vivait, déguisée en lingère, et avec sa tendresse et sa grande douceur, elle soutenait le courage de Barbaroux, qui s’était rasséréné au point de composer, pendant sa réclusion, une ode sur l’électricité. Les vers du député marseillais ne sont ni meilleurs ni plus