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partir, ils crachent en signe de mépris sur la bête diabolique. — À Kerlaz, il y a un antique cénotaphe en bois orné de peintures funèbres : crânes aux trous béans, ossemens entre-croisés ; et à chaque angle, des bras grossièrement sculptés, empoignent avec une énergie farouche les quatre flambeaux destinés à supporter les cierges funéraires.

Dans toutes ces églises, on retrouve symbolisée de cent façons la préoccupation obsédante de l’heure dernière, et la crainte, non de la mort, mais de l’enfer. Dans les sculptures des piliers, les boîtes peintes des ossuaires, les sombres teintes des vitraux, les figures austères des saints coloriés, et jusque dans le son de l’horloge antique du clocher, qui bat les secondes, avec une lugubre et infatigable monotonie, tout concourt à imprimer au cerveau de ces populations rêveuses et primitives la pensée de la minute prochaine où il faudra rendre ses comptes. Les affres et les menaces du Dies iræ sont comme incarnées dans chaque détail de cette décoration intérieure.

Une foi intense et naïve est au fond de cette race nerveuse et naturellement portée vers l’idéal religieux. Les explosions de piété chez ces âmes dévorées du besoin de croire sont profondément touchantes, comme toutes les manifestations d’un sentiment sincère. Les pardons en renom attirent les fidèles par milliers. Au pardon de Sainte-Anne-la-Palud, qui a lieu le dernier dimanche d’août dans les landes marécageuses voisines de la baie, vingt mille pèlerins accourent de tous les cantons du Morbihan et du Finistère. Des paroisses entières, conduites par leur recteur, arrivent dès l’aube, à pied ou en barque, après avoir passé la nuit en route. Du plus loin que ces troupes d’hommes, de femmes et d’enfans aperçoivent le clocher de Sainte-Anne, elles s’agenouillent pieusement et entonnent des cantiques. Des femmes font cinq ou six fois sur leurs genoux le tour de l’église en égrenant leur chapelet ; des centaines de cierges s’allument incessamment autour de la statue de la sainte, et de nombreux pèlerins se plongent, comme aux temps druidiques, dans les eaux miraculeuses de la fontaine. Je me souviens d’un paysan cornouaillais en braies blanches et aux longs cheveux, qui avait amené avec lui un enfant rachitique et paralysé ; prosterné dans l’église, il priait la sainte avec une ferveur ardente, il s’abîmait dans son adoration, puis, son rosaire terminé, il prenait le petit enfant sous les bras et essayait de le faire marcher. Et il y avait dans cet essai hélas ! infructueux, une telle expression de confiance naïve, une telle effusion de foi sincère, une telle illumination d’espérance, qu’on se sentait tout remué en regardant ce groupe rustique sur les dalles verdies de la chapelle.

Le pardon auquel nous assistons aujourd’hui est beaucoup plus