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riposte. Elles sont très amusantes à voir, vers midi, dévaler le long des rues par files de cinq ou six, se tenant le bras, faisant sonner leurs sabots sur le pavé inégal, et dévisageant les étrangers avec d’impertinens éclats de rire. — Les filles plus aisées travaillent à la journée comme couturières ou comme brodeuses. Elles brodent des châles, des devans d’autel, et exécutent sur la mousseline ou sur le crêpe des guirlandes fleuries d’une couleur étonnante et très originale. — Tout ce monde se tire d’affaire et ne manque de rien. Notre hôtesse, qui est encore verte, a eu dix enfans, dont cinq filles : trois sont déjà établies ; les deux autres, sveltes, blondes avec de grands yeux bleus, font partie de la noce de ce soir.

Pour ces occasions, les filles vident le fond de leur coffre et se parent comme des châsses. Dans cette salle oblongue, aux murs blanchis à la chaux, il y a un étalage de toilettes comme j’en ai rarement vu aux noces campagnardes de nos provinces de l’Est. Les danseuses sont en robes blanches, avec des châles de mousseline ou de crêpe de Chine brodé. La coiffe de cérémonie, légère, toute en dentelle, fuit en cornet derrière la tête. Cette toilette blanche est relevée par des tabliers de soie à bavette aux couleurs tendres : le bleu pâle, le vert d’eau, le lilas, le gris tourterelle mettent dans la neige de la mousseline ou du crêpe des notes douces, d’une grâce et d’une harmonie charmantes. Une jeune femme récemment mariée nous a surtout frappés par le luxe tout oriental de sa toilette : robe de satin blanc, bas roses, rubans du même ton à la taille, guimpe brodée et fleurie de roses, tablier et châle de mousseline, coiffé de dentelles et bijoux d’argent. — Jolie avec cela ; une figure aux nuances délicates de fleur d’églantier, de longs yeux bruns aux cils recourbés. — Un moment elle s’est assise, relevant avec coquetterie le devant de sa jupe pour laisser voir ses pieds finement chaussés, et dans cet assemblage de rose vif et de blanc éclatant, elle avait quelque chose d’une de ces filles mauresques qui s’épanouissent comme des fleurs dans les aquarelles de Fortuny.

La toilette des hommes est beaucoup plus modeste. Peu de redingotes, beaucoup de bérets et de vareuses. Deux gars de Ploa-Ré aux chapeaux à larges bords, aux joues rasées, aux vestes bleues brodées, tranchaient parmi les vêtemens sombres du personnel mâle. Les deux violons, debout sur l’estrade, ont joué un vieil air de branle. Danseurs et danseuses se sont pris les mains, et, par files d’une douzaine, se sont mis à exécuter une danse locale qu’ils nomment la gavotte. Chaque file conduite par un homme décrit gravement des demi-cercles en forme de S. Toutes ces guirlandes d’hommes et de femmes se meuvent légèrement, se croisent, se contournent, serpentent adroitement les unes autour des autres sans jamais se heurter, ni se départir de leur