Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mi-chemin. Plouf ! il est tombé à l’eau ; il plonge et reparaît ruisselant aux flancs de la goëlette. Un autre est arrivé à l’extrémité du mât, il choisit une belle ceinture rouge, il l’agite d’un air de triomphe, la mord à belles dents et pique une tête dans le bassin. Au bout d’une demi-heure, la vergue est complètement dégarnie ; mais les gamins, mis en goût par cet exercice, ne se lassent pas. Les voilà maintenant qui nagent de l’autre côté de la jetée et plongent pour cueillir sous l’eau des sous qu’on leur lance, enveloppés de papier blanc. Ils apportent à ce jeu un entrain enragé, se disputant entre deux eaux les sous qui pleuvent du haut du parapet. L’un d’eux se maintient une bonne demi-heure à fleur d’eau, nageant comme une grenouille ; il descend, remonte sans se reposer ; les yeux lui sortent de la tête et, emmagasinant son gain dans un coin de sa bouche, il crie entre ses dents aux curieux penchés vers lui : « Strami ? Strami ? (Est-ce qu’il n’y en a plus ?) » Et il continue à se démener comme un possédé, jouant des coudes et des genoux dans l’eau brune, jusqu’à ce que les badauds se fatiguent de jeter des sous.

Une explosion de cuivres de la fanfare pousse la foule à l’extrémité de la jetée ; les bateaux qui ont couru reviennent à force de rames, et ce sont des cris rauques d’encouragement, des battemens de mains et des altercations bruyantes pour savoir qui est arrivé bon premier.

Nous quittons le port et nous allons visiter le champ de foire où l’on danse au biniou. Les deux joueurs en costume breton, longs cheveux, la mine goguenarde, la trogne enluminée, sont perchés sur une estrade, et soufflent énergiquement, l’un dans sa bombarde, l’autre dans sa cornemuse. A leurs pieds, des marins et des paysans exécutent gravement une sorte de branle sur un rythme traînant et monotone. Les filles font cercle à l’entour, mais pas une ne se mêle à la danse ; Tristan s’étonne du peu d’enthousiasme de l’élément féminin et en demande la raison à ses voisines :

— Voyons, dit-il, des sa voix chantante, est-ce que vous n’aimez pas à danser ?

— Oh ! que si, monsieur, mais nous ne danserons pas.

— Pourquoi ?

— C’est aujourd’hui dimanche, réplique une jolie sardinière, et pour des filles, voyez-vous, ça n’est pas propre de danser le dimanche…


8 septembre.

Après déjeuner, Tristan est allé à la recherche des menhirs épars dans la lande Saint-Jean. Par ce grand soleil, les plateaux de