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la profondeur. Des houles de buées opalines rampent au long des côtes et empêchent d’en distinguer la base, mais les sommets des collines émergent en plein soleil, et à notre gauche le double mamelon du Méné-Ham se détache baigné d’une tendre couleur lilas. Des mouettes blanches planent dans le ciel d’un bleu de turquoise, et des voiles blanches courent sur la mer, qui s’azure à chaque instant davantage.

Tristan, très ému, me saute au cou et m’embrasse cordialement.

— Bravo ! dit-il, cette fois, nous ne sommes pas volés ! .. Ces verdures qui trempent presque dans la mer, cette ville qui sort de la brume, cette baie immense qui bleuit, ces montagnes qui se dorent, ce divin mariage des arbres, du ciel et de l’eau, c’est beau comme le plus beau rêve, et cela mérite que je t’embrasse une seconde fois !

Nous avons rebroussé chemin jusqu’au port de commerce et, sautant dans le bac, nous avons gagné le pert.it port de Tréboul et longé la Falaise jusqu’au village de Saint-Jean. À partir de cette paroisse, le paysage change de caractère. Tout à l’heure c’était la terre habitée, se couronnant de ses plus beaux arbres, étalant ses plus épaisses pelouses, se parant de sa plus verte fraîcheur avant de disparaître dans la mer ; maintenant c’est la solitude silencieuse et grise, harmonisant ses lignes et ses teintes austères avec la majesté de l’océan.

Nous sommes dans la lande ; une lande montueuse, coupée de brusques ravins et d’abrupts escarpemens, déroulant pendant des lieues ses ondulations d’un vert violacé, semées de blocs de granit et bordées à droite par des entassemens de rochers que lavent les flots de la baie. C’est la sauvagerie, mais la sauvagerie empreinte d’une grâce mélancolique qui vous prend le cœur. Partout le sol est couvert d’une épaisse végétation de bruyères, d’ajoncs, de fougères, de rosiers pimprenelles, où des ronces et des chèvrefeuilles mêlent leurs floraisons roses et jaune pâle. Dans les ravins, des sources invisibles murmurent sous les broussailles et continuent leur discrète chanson jusqu’à la mer. Parfois la source devient ruisseau, son eau claire s’épanche dans des réservoirs ; bordés de pierres plates, avec un bout de prairie et une ceinture d’iris alentour. Pas un village ; seulement, d’espace en espace un toit de métairie caché dans un massif d’arbres roussis et rasés par le vent du large. Le chemin disparaît, ou plutôt des centaines de (sentiers lui succèdent, étroits sentiers capricieux ne menant nulle part, frayés au hasard par les petits pâtres qui poussent leurs vaches dans la bruyère. De loin en loin, un bouquet de pins aux cimes aplaties fait ressortir mieux encore la nudité de cette