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d’un sentier de chèvre, qui serpente au-dessus des roches, on domine ces déchirures profondes, aux flancs desquelles sont pour ainsi dire accrochées les bâtisses où l’on prépare la sardine et qu’on nomme des fritureries. Les caprices du sentier tantôt rentrant, tantôt surplombant, nous ménagent une succession d’aspects inattendus, que le brouillard houleux découvre à demi ou enveloppe de mystère ; ici, une étroite conque de granit, couronnée d’arbres et abritant la mignonne plage du bain des dames ; là, une déchirure plus spacieuse, moins intime, encadrée dans d’énormes roches brunes, qui a reçu le nom de bain des hommes. En face, l’Ile Tristan élève au-dessus de la brume son bloc triangulaire, avec ses sardineries à la base et son phare au sommet. — Mon ami ôte son chapeau et envoie un salut reconnaissant à cet îlot qui porte son nom.

A un brusque tournant, la nappe d’eau s’enfonce large et profonde dans un cirque formé par des maisons en gradins : de grands escaliers de pierre verdissante descendent brusquement vers le flot qui mouille les dernières marches ; une étroite jetée terminée par un fanal coupe de son mur blanc la mer vaporeuse, et dans ce bassin d’où montent des cris d’enfans, à travers les transparences blanchâtres de la brume, nous apercevons des coques de bateaux et des filets roux qui sèchent, tendus entre deux mâts comme d’énormes toiles d’araignées. — Nous sommes arrivés à Rôs-Meur, le port de pêche.

Dans le fond du port, le brouillard est moins dense, et de longs rais de soleil caressent de leur lumière rosée la paroi d’un mur de roches, où serpente un sentier escarpé que des laveuses remontent avec leurs baquets pleins de linge. — Au sommet du rocher, la blancheur des façades du hameau de Plô-March éclate dans un amphithéâtre de pelouses mamelonnées et de futaies moutonnantes, jusqu’à un dernier massif verdoyant d’où s’élance le svelte clocher de Ploa-Ré.

J’emmène vers ce hameau de Plô-March mon ami Tristan, qui, depuis un bon quart d’heure, a déjà ravalé ses allusions ironiques à Roscoff. Je le promène sur les pelouses que le soleil commence à essuyer, sous les hêtraies où une lumière blonde tombe en pluie menue ; je lui fais tourner le dos à la mer et je l’amuse avec des explications sur la topographie du pays, puis, sentant que le soleil a suffisamment bu le brouillard, je lui crie d’une voix triomphante : — Maintenant, retourne-toi !

Au-dessous d’un premier plan gazonneux, dans l’encadrement des nôtres et des frênes, la baie ruisselante de clarté s’étale devant nous. Une délicate nuance azurée commence à en colorer la surface tranquille, tandis qu’au loin un brouillard argenté en masque encore