Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant ces deux décisives années de 1813 et de 1814. Des juges fort experts en matière militaire se sont étonnés de cette immobilisation de Davout et ont insinué qu’il en fallait chercher le secret dans la défaveur de Napoléon. Nous n’avons guère autorité pour contredire ces jugemens, mais il ne nous est pas évident qu’au début cette immobilisation fût dans la pensée de l’empereur. Napoléon attachait à Hambourg une importance exceptionnelle, si exceptionnelle qu’il voulait en faire une place forte de premier ordre. Désespérant d’y arriver dans les circonstances difficiles où il était, il voulut au moins que Davout la mit en état de défense sur tous les points où les travaux pouvaient être exécutés promptement de manière qu’une faible garnison suffit à la défendre et laissât disponibles les forces du maréchal. La possession de Hambourg permettait en outre de surveiller de près les mouvemens du prince de Suède, et Napoléon s’était probablement dit qu’il n’avait personne qu’il pût opposer à Bernadotte avec autant de confiance que Davout. Enfin, lorsque Hambourg serait repris et fortifié, Davout, y laissant, comme nous avons dit, une faible garnison, devait relier ses opérations à celles d’Oudinot sur Berlin dès que les ordres lui en parviendraient. On ne voit guère en tout cela une pensée d’immobilisation systématique. Mais les circonstances déconcertèrent ces premiers plans, les opérations d’Oudinot échouèrent, et les ordres attendus n’arrivèrent jamais. À partir du 18 août 1813, c’est-à-dire peu de jours après l’expiration de l’armistice, jusqu’à la chute de l’empire, Davout resta entièrement livré à lui-même, sans instructions quelconques, et sans pouvoir prendre à la guerre générale une autre part que celle trop modeste, par rapport à ses grands talens, que lui permettait cette situation fatale.

Dans la correspondance de Davout et de la princesse d’Eckmühl pendant les mois soucieux de cette occupation, on aperçoit les mouvemens de la terrible lutte engagée au cœur de l’Europe comme par le moyen d’une lanterne sourde. Éloignés l’un et l’autre du théâtre de la guerre, les deux correspondans sont comme enveloppés dans une sorte de nuit ; mais de temps à autre un filet de lumière jaillit brusquement et révèle l’imminence de la catastrophe. Là-bas, à Paris, on sent le danger qui s’avance à marches forcées et on se hâte pour le prévenir. Le besoin d’hommes est pressant, et il faut qu’il menace de le devenir bien davantage pour qu’on se décide à ces levées en masse de jeunes conscrits pris avant l’heure, levées dont s’afflige la maréchale, non sans bon sens et avec une prévoyance relevée de grâce : « J’aurais souhaité, pour le plus grand avantage de l’armée, qu’on n’eût pris que des hommes faits et parfaitement dans le cas de supporter la suite des fatigues, car le premier tourment des parens est la faiblesse de leurs enfans.