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cœur, après l’avoir lue deux fois, avait été ainsi à même d’en tirer une copie dont il lui avait promis un double. On ne peut que faire des vœux pour qu’une pièce d’une telle importance se retrouve, soit dans les papiers tombés en partage aux autres membres de la famille de Davout, soit dans les papiers laissés par M. Villemain, mais ce qui peut consoler de la perte de ce document, c’est qu’il nous est inutile pour juger en toute assurance que la conduite de Davout fut entièrement conforme à la réponse donnée plus haut. Il comprit dès le premier instant la situation qui lui était faite et il en éluda les périls avec un admirable bon sens. Il prit sur lui de ne pas exécuter la lettre des ordres prescrits, tout en en conservant l’esprit, et il en trouva le moyen en se renfermant sans en sortir d’une ligne dans les lois propres à la guerre et en les appliquant dans toute leur rigueur. Le voulait-on sévère, même dur, soit, les lois de la guerre, qui obligent tout soldat, sont sévères et dures ; mais on lui recommandait la cruauté, et c’est à cela qu’il avait le droit de se refuser, ces lois n’imposant pas la cruauté avec la même évidence qu’elles imposent la sévérité. Il traita donc les Hambourgeois comme un chef d’armée traite les habitans d’une ville conquise, et non comme un vainqueur dans les guerres civiles traite des rebelles au gouvernement de la patrie ; c’est dire qu’il leur épargna ces représailles qui rendent si douloureuses les répressions des discordes civiles et qu’autorisait cependant le titre de sujets de l’empire qu’ils portaient depuis 1810. Il ne fit fusiller ni rechercher personne pour cause d’opinions, mais il fit passer par les armes les espions avérés et les embaucheurs pris sur le fait. Il ne confisqua les biens de personne, mais lorsqu’il fut contraint par les besoins de l’armée, il s’empara manu militari de la banque de Hambourg et lui demanda les ressources que le commerce hambourgeois lui refusait. Il ne fit aucune proscription, mais lorsque les nécessités de la défense l’exigèrent, il usa du moyen dont se sert tout commandant d’une place assiégée et fit sortir de Hambourg vingt-cinq mille habitans. Pour toutes ces mesures, il était couvert non-seulement par les ordres précis de Napoléon, mais par les lois traditionnelles de la guerre, en sorte qu’il put dire quelques mois plus tard en toute vérité à ses accusateurs : « J’ai fait simplement mon métier, j’en ai appliqué les règles et je ne suis coupable que si elles le sont. » C’est le raisonnement même qui fait le fond de son Mémoire justificatif adressé au roi Louis XVIII et qui lui prête une force de logique à l’abri de toute réfutation.

Si l’occupation de Hambourg n’eut pas pour Davout les conséquences odieuses qu’il avait pu un moment redouter, elle en eut une funeste qu’il ne fut pas en son pouvoir d’éviter, c’est qu’elle le cloua sur place et le tint éloigné du théâtre principal de la guerre