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titre. Une légère pointe de préjugé s’y montre et donne le ton de l’époque. On y sent très bien la distance que vingt-cinq années de guerres merveilleuses avaient fini par établir entre le soldat et le simple citoyen. Naïvement, inconsciemment, par le seul fait de la durée et de l’évolution des événemens, l’el señor soldado de la guerre de trente ans tendait à reparaître dans une société devenue toute militaire.

La réponse de Davout à sa femme est aussi fort curieuse, d’abord parce qu’elle nous apprend l’opinion qu’il avait et qu’il voulait qu’on eût dans le public de la conduite du premier corps d’armée pendant la campagne, ensuite parce qu’elle nous montre une fois de plus combien sa fidélité envers l’empereur était à l’épreuve de toute blessure et de toute injustice. Il n’est pas l’auteur de la lettre insérée au Moniteur ; n’importe, il ne la désavoue pas, puisqu’il semble qu’elle peut être utile au souverain.


Magdebourg, 15 février 1813.

J’ai éprouvé, mon Aimée, une vive satisfaction en lisant toutes tes réflexions sur la lettre que tu as lue dans le Moniteur ; si ton Louis en eût été le rédacteur, tu n’aurais pas été dans la cas de faire ces réflexions. Elle a été fabriquée et insérée pour détruire tous les mensonges réellement impudens de nos ennemis, qui poussent l’effronterie jusqu’à attribuer à la supériorité de leurs armes ce qui n’est que l’effet des privations, des fatigues et des 24 degrés de froid que les troupes ont éprouvés depuis leur départ de Moscou. Si j’en eusse été le rédacteur, comme tu l’observes, je ne me serais pas servi de l’expression mes hommes en parlant des soldats de mon souverain ni n’aurais remplacé cette expression par celle de mes soldats ; je sais qu’ils sont les soldats de l’empereur ; ainsi je n’emploie jamais les expressions de mes soldats, mon corps d’armée. Enfin, je ne me serais pas non plus servi de cette expression que j’étais navré de douleur.

Je regrette les soldats que perd l’empereur, les malheurs militaires qui peuvent nous arriver, mais je ne rendrais pas mes regrets par cette expression exagérée et qui peint une âme abattue. Enfin, mon amie, si j’eusse été le rédacteur, je n’aurais pas avoué qu’un grand nombre de soldats du 1er corps s’étaient débandés pour se procurer des subsistances et un abri contre le froid, car j’eusse été injuste envers les soldats du 1er corps. La presque totalité a péri par le feu en combattant avec une constance et une intrépidité sans exemple. Jamais un bataillon n’a été repoussé ou enfoncé. Jamais l’ennemi n’a fait abandonner une position auparavant l’instant où elle a dû être quittée, et elle était évacuée sous le feu du canon avec un calme qui eût fait prendre tous ces mouvemens comme des manœuvres d’exercice. Dans toutes les