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succès de l’entreprise, mais à saisir une occasion qui affirmera une fois encore sa supériorité et forcera l’empereur à la reconnaître. Regardez-y bien, et toute l’histoire de Davout en 1812 se résumera dans la poursuite opiniâtre de cette occasion.

Dix fois il crut l’avoir trouvée et dix fois elle lui échappa, non par le fait de la fatalité, mais, circonstance plus irritante et plus amère, par le fait de quelque rival de gloire. A Mohilow, il tenait cette victoire désirée : le refus d’obéissance du roi Jérôme, en permettant à Bagration de lui échapper, réduisit sa bataille à n’être qu’un glorieux combat. A la Moskowa, il crut avoir trouvé le moyen d’obtenir un succès décisif en employant la manœuvre qui lui avait réussi à Wagram, il échoua par le refus de Napoléon d’accéder à sa proposition. Après Malojaroslavetz, lorsqu’il fallut se décider pour une ligne de retraite, il proposa la route de Medyn et Smolensk comme étant la plus courte et celle qui fournirait le plus de ressources : ce fut la route proposée par Murat qui fut choisie, au grand dommage de l’armée. De quelque côté qu’il se tourne, il ne rencontre qu’entraves. Dès le début de la campagne, comme si on craignait que la fortune ne répondît trop vite à son appel, on ampute son corps d’armée de trois divisions et on brise ainsi dans sa main ses instrumens d’action. On le place sous le commandement de Murat, c’est-à-dire du chef militaire le plus opposé à sa nature qui se puisse concevoir, et le moins disposé à recevoir ses inspirations, et on le met ainsi dans l’alternative ou de refuser son concours ou de coopérer à des manœuvres qu’il juge des fautes. Les talens qui jusqu’alors lui avaient été tournés à louange lui sont tournés à reproche. Organisateur et administrateur militaire de premier ordre, il n’avait rien négligé pour que son corps d’armée pût tenir la campagne sans être à la merci de ces accidens qui relâchent la discipline et abattent le moral du soldat. « Tant de soins devaient plaire, dit Ségur, ils déplurent, ils furent mal interprétés. D’insidieuses observations furent entendues de l’empereur. Le maréchal, lui disait-on, veut avoir tout prévu, tout ordonné, tout exécuté. L’empereur n’est-il donc que le témoin de cette expédition ? la gloire en doit-elle être à Davout ? « En effet, dit Napoléon, il semble que ce soit lui qui commande l’armée. » Pendant la retraite, fidèle encore à cet esprit d’ordre qui avait toujours été un de ses principaux moyens de succès, il impose à ses troupes et il obtient d’elles, en dépit de leurs cruelles souffrances, une marche lente et méthodique afin d’éviter toute précipitation qui aurait l’apparence d’une déroute et par là enhardirait l’ennemi : « Mais, dit un témoin, l’empereur se plaignit de la lenteur avec laquelle marchait le premier corps et blâma le système de retraite par échelons qu’avait adopté son chef, disant qu’il avait fait perdre