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frontières, et en dernier ressort une simple possibilité de médiation. Cette éventualité d’une rectification de limites, indiquée d’abord d’une manière générale cependant, elle est allée en se précisant, en s’étendant, et à la dernière conférence qui s’est réunie à Berlin, au courant de l’été, elle a pris la forme d’un tracé de frontières qui ressemble à une sorte d’ultimatum, qui agrandit considérablement le territoire hellénique, — qui, par cela même, ne pouvait manifestement être accepté par les Turcs. L’Europe n’a prétendu rien décider souverainement, dira-t-on ; elle s’est bornée à indiquer un tracé, à faire des propositions, puisque la Turquie et la Grèce ne pouvaient se mettre d’accord : elle n’a entendu en aucun cas employer la coercition. Elle a émis une opinion ! elle ne s’engage pas à l’imposer ; mais c’est là précisément qu’éclate une dangereuse inconséquence. D’un côté, les puissances, la France au premier rang, ne cessent de répéter qu’elles ne tireront pas un coup de canon, pas plus dans l’affaire grecque que dans l’affaire du Monténégro ; d’un autre côté, elles mettent des armes et des titres dans les mains des Grecs, elles enflamment leurs espérances, elles sanctionnent d’avance leurs revendications territoriales au détriment des Turcs, dont elles distribuent arbitrairement les provinces. Qu’en est-il résulté ? C’était bien facile à prévoir. De tout ce qu’on leur disait les Grecs n’ont pris que les promesses qui flattaient leurs ambitions nationales ; ils se sont jetés avec passion sur ce programme d’agrandissement qui leur a été offert. Depuis quelques mois, ils ne cessent de rassembler des soldats, d’augmenter leur armée, qui, malheureusement, serait encore loin de suffire dans une lutte sérieuse. Ils surchargent leur budget, leur dette, au point que, s’ils avaient un mécompte, ils tomberaient dans l’inévitable banqueroute. Ils vivent dans l’illusion, dans la surexcitation, et si on cherche à les calmer, si le nouveau représentant de la France, M. de Mouy, parle au chef de l’état, aux ministres, de patience, de modération, le souverain, qui exprime en cela le sentiment de son peuple, le roi George, répond qu’il tient les décisions de la conférence de Berlin pour « définitives et irrévocables. » Il invoque le titre qui lui a été imprudemment donné.

On parle ainsi à Athènes et, d’un autre côté, à Constantinople, on réplique, non sans raison, par ce que dit une circulaire récente : « La Porte ne s’attendait pas, à propos d’un vœu concernant la rectification de la frontière hellénique en Épire et en Thessalie, à recevoir des puissances médiatrices une proposition ayant pour but la cession d’une contrée appartenant à l’Albanie, ainsi que de la Thessalie tout entière ; cession qui aurait pour effet d’annexer au royaume hellénique un territoire presque égal à la moitié de la superficie actuelle du royaume… » En fait de rectification de frontières, c’est, on en conviendra, procéder assez largement. Et qu’on le remarque bien, c’est la Turquie qui est ici dans le droit, dans la régularité, dans l’interprétation correcte du traité