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jusqu’à la fin de sa brillante carrière il s’est conformé aux leçons qu’il avait reçues, il a toujours représenté ce qu’on appelait la vieille tradition. Il est mort sans qu’on ait pu jamais lui reprocher d’avoir battu sa nourrice.

Les lettres qu’il écrivit de Smyrne pendant l’insurrection grecque offrent aujourd’hui encore un vif intérêt. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et les situations, les événemens, les démêlés, les conflits qu’il racontait, les inquiétudes des uns, les espérances des autres, tout cela ressemblait singulièrement à ce que nous voyons. « Laissons tourner la terre, disait l’ivrogne de Shakspeare, nous ne serons jamais plus jeunes qu’aujourd’hui. » Depuis 1827, la Turquie n’a pas rajeuni ; mais est-elle devenue plus vieille ? On pourrait en douter. Alors déjà, elle semblait ne pouvoir opposer à ses ennemis que cette force de résistance que donne l’inertie, et elle désespérait ses amis par sa conduite, qu’ils avaient peine à comprendre, par les maladresses qu’elle mêlait à ses habiletés, par son obstination fataliste, qui se raidissait contre les conseils. « Pour traiter avec les Turcs, écrivait Prokesch le 3 juillet 1829, il faut connaître leurs mœurs, leurs idées, leur façon de raisonner, leurs penchans et leurs faiblesses. La rhétorique occidentale ne produit sur eux aucun effet, ils ont un tact tout particulier pour démêler le vrai du faux. Le point est d’obtenir leur confiance ; on n’y réussit que par la douceur jointe à l’énergie et par un calme imperturbable. » Alors déjà il passait pour constant que l’empire ottoman était tombé en décadence, et médecins et empiriques lui offraient des remèdes qui n’étaient pas à son usage. Le prince de Metternich en jugeait mieux quand il disait : « L’Islam n’est pas compatible avec une organisation saine de l’état. De temps à autre éclatent des maladies inflammatoires ; sont-elles guéries, ce qui leur succède n’est pas la santé, c’est le vieux mal chronique, dont on ne pourrait délivrer les Turcs qu’en leur ôtant la vie. » Et pourtant, alors comme aujourd’hui, cet empire caduc avait d’avisés diplomates, qui rendaient des points à ceux de l’Occident, et d’héroïques soldats à qui on pouvait tout demander, et si on l’eût laissé faire, il serait venu à bout de tous ses sujets révoltés. Quand l’Europe intervint, l’insurrection grecque était près de succomber ; Prokesch en donnait l’assurance à Gentz avec les pièces à l’appui.

En 1827 comme à cette heure, la politique autrichienne travaillait au maintien du statu quo en Orient, non certes par intérêt pour la Porte, mais parce qu’elle se défiait de la Russie. Elle représentait à l’Europe qu’il était de son devoir de venir en aide à l’empire caduc pour prolonger ses jours autant qu’il était possible ; elle s’efforçait aussi de lui persuader que l’agrandissement de l’Autriche était pour les puissances occidentales la seule garantie sérieuse contre les ambitions et les convoitises moscovites. Dès ce temps, l’Autriche était dans la situation d’un