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Déjà, par mesure de précaution, les canonnières, en croisant devant la barre de Tabasco ou à l’entrée de Carmen, enlevaient les pilotes qui, satisfaits de se voir enlevés de force, se laissaient faire. Il n’y avait qu’à se hâter pour que l’expédition de Tabasco réussît. Mais il le fallait, car la saison avançait beaucoup, les eaux baissaient, et les fièvres paludéennes, qui allaient recommencer, ne permettraient pas de garder trop longtemps les canonnières dans le haut des rivières.

Quelque pressantes que fussent ces observations, on n’y paraissait point prendre garde à Mexico. Après de formelles assurances reçues, il y avait lieu de s’étonner et de soupçonner peut-être, en haut lieu, moins des influences que des intentions contraires à cette expédition de Tabasco. De quelque façon toutefois qu’il fût permis ou possible d’interpréter ce silence ou les tempéramens dilatoires du maréchal au sujet des opérations à diriger contre le midi et le sud-est de l’empire, un événement grave et des difficultés d’action vinrent tout à coup, pour un certain temps, distraire la marine de ses projets sur Tabasco.

L’événement grave fut une nouvelle et soudaine attaque de Tuspan par les dissidens. Depuis l’échauffourée qui avait heureusement pris fin par l’arrivée du Forfait, Tuspan n’avait jamais cessé d’être plus ou moins menacé par Papantla et sauvegardé par nous. Le Forfait était allé y porter deux canons de 30 en fonte et des munitions. La Pique y avait séjourné, dans la rivière, jusqu’à la moitié du mois de novembre. M. Llorente y avait, enfin été remplacé par le général Ulloa, qui montrait une fidélité moins douteuse et une volonté meilleure. Néanmoins, au commencement de janvier, et bien que les gens de Jalapa, à qui il fallait à tout prix un débouché sur la mer, se fussent très sérieusement rapprochés de Tuspan, le général Ulloa se proposait de le quitter vers le 15 pour aller à Mexico faire sa cour au souverain. Il eût mieux valu qu’il y restât. L’inquiétude, au sujet de Tuspan, était déjà assez vive pour que, le 8 février, le commandant de la division envoyât le Rhône porter des boulets à la ville pour le cas où elle serait encore au pouvoir des impériaux et du général Ulloa. Le 18, le Colbert, envoyé devant Tuspan pour voir ce qui s’y passait, trouvait la ville tranquille, mais le général parti. Par une singulière coïncidence avec ce départ, l’ennemi arriva tout à coup, le 23, avec huit cents hommes. Le rôle du Colbert était tout tracé. Forcé de rester lui-même devant la barre, il avait à envoyer ses embarcations en rivière et, le péril devenant de beaucoup plus pressant, à faire momentanément débarquer son monde en ville.

Tuspan, — et sa description ici donne une idée assez exacte des villes mexicaines, — est un grand bourg de six mille âmes