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nations de même race comme l’Italie, de même langue comme la Belgique, ayant toutes deux, des institutions libres et des législations calquées sur la nôtre, avaient renoncé au système français pour confier à la justice le contentieux administratif ? Les réflexions et les doutes se multiplient lorsqu’on apprend qu’en ces deux pays nul ne prétend que les tribunaux soient devenus maîtres de l’administration. Cependant n’est-il pas imprudent d’aller aussi loin et de montrer la même hardiesse ? Est-il nécessaire de détruire les conseils de préfecture ? N’est-il pas plus sage de constituer leur indépendance, de les relever en leur accordant la plénitude de juridiction qu’ils réclament depuis longtemps, de les éloigner du préfet, qui leur enlève toute autorité, de les placer au centre d’un groupe de départemens en réduisant leur nombre à dix ou douze pour toute la France ? Cette réforme ne deviendrait-elle pas considérable si, au-dessus d’eux, la juridiction supérieure qui forme aujourd’hui une des sections du conseil d’état, était rattachée à la cour suprême, devenue ainsi l’interprète universelle de la loi française ? La juridiction administrative plus concentrée, composée au premier degré de membres plus savans, garderait de la sorte son caractère de spécialité, empruntant à la cour suprême les garanties communes à toute justice, conservant, dans la sphère nouvelle où elle serait appelée à se mouvoir, son indépendance et tirant un grand profit d’une juxtaposition en une même compagnie dont les diverses sections seraient chargées d’interpréter les lois civiles, administratives et fiscales, aussi bien que la législation commerciale et criminelle.


IV

Ce n’est pas le vain plaisir de donner une dénomination nouvelle à d’anciennes institutions qui fait souhaiter ce changement. Nous avons en vue un tout autre résultat. Le règne des lois n’est assuré en un pays que si tous les citoyens voient clairement la justice et comprennent que nul, si haut placé qu’il soit, n’y échappe. Le déni de justice, qu’à toutes les époques nos vieux jurisconsultes ont considéré comme la pire offense, a reparu de notre temps sous des titres nouveaux. Vienne un déclinatoire, un conflit, une déclaration d’incompétence, et un citoyen lésé dans ses droits, protestant contre la confiscation de sa propriété, ; réclamant une édition saisie administrativement avant toute publication, ou se plaignant d’une atteinte à la liberté individuelle, verra l’accès de toutes les cours se fermer devant lui sans qu’il puisse faire entendre sa voix. Dans un pays où de tels événemens se passent, peu importe que l’empire soit debout ou que la république lui ait succédé, les mœurs sont