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police, » un « acte de gouvernement, » le détermine à refuser aux citoyens lésés toute action.

Il n’est pas dans notre pensée de rouvrir le débat depuis tant d’années pendant sur la séparation des pouvoirs. Ce principe est profondément sage. En le proclamant, la constituante a rendu un grand service au droit public ; mais, suivant les temps, les lois doivent parer à des périls divers. Il était naturel que, pendant les premiers jours de la révolution, alors que le souvenir des parlemens et de leurs arrêts de règlemens était dans toutes les mémoires, le législateur se défiât du pouvoir judiciaire, qu’il voulût tourner toutes ses précautions contre les empiétemens des juges. En posant la règle de la séparation des pouvoirs, il n’avait que deux pensées, réduire à néant la puissance royale et renfermer le juge dans le cercle du droit criminel et du droit privé. Les prescriptions sévères étaient loin d’être superflues ; il fallait rompre avec des traditions qui auraient perpétué une confusion funeste. Les magistrats étaient à ce point imbus des précédens de l’ancien régime que, sous la restauration, les parquets eurent plus d’une fois à lutter pour qu’une cour ne mandât point le préfet à sa barre.

Aujourd’hui, rien de tout cela n’existe plus. Les tribunaux, dans l’administration régulière de la justice, ne cherchent pas à empiéter. Les partisans de la juridiction administrative mettent quelque amour-propre à rappeler que, dans un procès célèbre sous l’empire, le conseil d’état se montra favorable à la compétence judiciaire, qu’avaient déniée à tous les degrés les juridictions civiles[1].

Le principe de la séparation des pouvoirs est donc reconnu et admis : c’est un principe salutaire, mais il a été exagéré avec le temps et, tout en le maintenant, il faut se garder de le pousser jusqu’à ses conséquences extrêmes. La loi et la jurisprudence ont l’une et l’autre dépassé la mesure. Quand la loi, qui a remis toute la matière des contributions indirectes aux tribunaux, attribue aux conseils de préfecture les impôts directs, quand elle distingue la petite voirie, qui appartient à la justice ordinaire, de la grande voirie, qu’elle abandonne à la juridiction administrative, à ce point que des contraventions souvent fort délicates sont soumises à des conseillers de préfecture amovibles qui prononcent des amendes comme si les prévenus étaient entourés des garanties de la justice répressive[2] il faut cependant avouer que le législateur semble

  1. Voir, dans l’affaire de la saisie administrative de l’Histoire des princes de Condé, les conclusions de M. Aucoc en date du 9 mai 1867 ; Dalloz, 1867, III, p. 49.
  2. Si le conseil de préfecture croit qu’il y a lieu de condamner à une peine d’emprisonnement, comme le législateur n’a pas osé lui donner ce pouvoir exorbitant, il a été décidé que le juge administratif renverrait le coupable frappé d’une amende devant le tribunal correctionnel pour entendre prononcer une peine corporelle. (Circulaire du ministre de la justice du 28 ventôse an II.) Ce renvoi impraticable est la meilleure condamnation d’un système qui appelle une révision.