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dernier ressort les appels, de connaître des recours en cas de violation du droit, ce tribunal est investi dans la plus grande partie de la Suisse des attributions d’une cour de cassation. Cette juridiction réunit les attributions d’une cour supérieure et d’une cour régulatrice et constitue la plus haute expression de la justice dans chaque canton.

Dans une confédération, il ne suffit pas que chaque territoire ait organisé dans son sein une hiérarchie judiciaire complète pour que la justice soit également garantie à tous. Une autorité légale supérieure aux cantons, nous l’avons remarqué en étudiant les États-Unis, peut seule mettre fin aux débats entre confédérés des divers territoires. Tel est le point de départ du tribunal fédéral réorganisé en 1874 et régissant les intérêts mixtes.

À l’origine de la confédération et pendant cinq siècles, tous les différends entre les confédérés étaient soumis à une justice arbitrale. « Les alliances » qui étaient la base du droit public et réglaient les rapports des cantons, contenaient une promesse de déférer les contestations à des arbitres. En vigueur jusqu’à la révolution française, ce système fut écarté pendant la période unitaire pour reparaître en 1315. Mais le nombre des questions mixtes augmentait avec les relations mutuelles ; l’arbitrage permanent donna naissance au juge en titre, et, en 1848, du consentement de tous les cantons, le tribunal fédéral fut constitué. Composé de onze juges et de onze suppléans, afin que chaque fraction de la confédération fût représentée, le tribunal fédéral connaissait des litiges entre cantons, des débats entre un canton et le pouvoir central, mais les affaires politiques et celles engageant une question de droit public étaient réservées à l’assemblée fédérale. On soumettait de la sorte à une autorité purement politique les matières mixtes et on les livrait aux intérêts de parti qui altèrent trop souvent la notion du droit : c’était compromettre gravement la justice. Des protestations s’élevèrent de toutes parts : les esprits sages s’accordèrent à demander qu’il n’y eût plus en Suisse de décisions qui pussent échapper à l’empire du droit et que désormais l’autorité judiciaire connût de toutes les violations de la loi.

En 1874, le tribunal fédéral conquit enfin ce terrain, qui est son domaine naturel, aux applaudissemens du peuple, dont la liberté se trouva dès lors placée sous la protection de la justice : conflits de compétence entre les autorités fédérales et les autorités cantonales, différends entre cantons, réclamations des citoyens pour violation des droits qui leur sont garantis soit par la législation fédérale, soit par la constitution de leurs cantons : telles sont les attributions principales de cette cour suprême qui est juge de sa propre