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Adieu, ma chère maman, reposez-vous bien de vos fatigues afin que je puisse aussi vous recevoir une autrefois. Ce ne sera jamais assez tôt au gré de mon impatience. Je vous embrasse tendrement ; Casimir et Maurice se joignent à moi pour en faire autant. Le cher père est très occupé de sa moisson. Il a adopté une manière de faire battre le bled qui termine en trois semaines les travaux de cinq à six mois ; aussi il sue sang et eau. Il est en blouse, le râteau à la main, dès le point du jour.

Les ouvriers sont forcés de l’imiter, mais ils ne s’en plaignent pas, car le vin du pays n’est pas ménagé pour eux. Nous autres femmes, nous nous installons sur les tas de bled dont la cour est remplie, nous lisons, nous travaillons beaucoup et nous songeons fort peu à sortir, quoique nous en ayons la facilité. Nous fesons aussi beaucoup de musique.

Adieu, chère maman, rappelez-moi à l’amitié du vicomte, Maurice est mince comme un fuseau, mais droit et décidé comme un homme ; on le trouve très beau, son regard est superbe.


A Madame Dupin, Paris,


Nohant, 27 décembre 1828.

Mon garde champêtre, qui est mon fournisseur et mon pourvoyeur, et qui de plus est ancien voltigeur et bel esprit, a fait ce matin, ma chère maman, une assez belle chasse. Je fais mettre dès demain ma cuisinière à l’œuvre, et quoiqu’elle ait beaucoup moins de génie que le garde champêtre, j’espère qu’elle en aura assez pour confectionner un bon pâté que je vous enverrai pour vos étrennes dès qu’il sera refroidi. Mon ami Caron, à qui j’adresse un envoi du même genre, vous fera passer ce qui vous revient.

Agréez en même tems, chère mère, tous mes vœux et mes embrassemens du jour de l’an, ayez une bonne santé, de la gaîté et venez nous voir ; voilà mes souhaits.

Je suis charmée que vous ayez trouvé mes confitures bonnes. Je comptais vous en adresser un second volume, mais mon essai n’a pas été aussi heureux que le premier. Entraînée par l’ardeur du dessin, j’ai laissé brûler le tout et je n’ai plus trouvé sur mes fourneaux qu’une croûte noire et fumante qui ressemblait au cratère d’un volcan beaucoup plus qu’à un aliment quelconque. Puisque nous sommes sur ce chapitre, je vous dirai que vous avez très bien fait de ne rien donner à mon envoyé. Il en eût été très choqué. Il veut bien se considérer comme mon ami et mon voisin, mais non comme un commissionnaire. Il vous eût dit qu’il était né natif de Nohant, qu’il se rendait mon messager uniquement par amitié,