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A Madame Dupin, Paris.


Nohant, 7 avril 1828.

Vous me traitez bien sévèrement, ma chère maman, justement au moment où je venais de vous écrire ne m’attendant guères à vous voir fâchée contre moi. Vous me prêtez une foule de motifs d’indifférence dont vous ne me croyez certainement pas coupable. J’aime à croire qu’en me grondant vous avez un peu exagéré mes torts et qu’au fond du cœur vous me rendiez plus de justice, car si vous n’aviez pas cru que je serais sensible à de si graves reproches, vous ne me les auriez pas fait. J’espère qu’en apprenant que ma maladie avait été la seule cause de ce long silence, vous m’avez entièrement pardonné. Dites-le-moi bien vite, car c’est un mauvais traitement pour moi que vos reproches, et j’ai besoin pour me mieux porter de savoir que vous m’avez rendu vos bontés.

J’ai appris de la famille Maréchal des nouvelles qui m’ont bien profondément affligée. J’en suis malade de chagrin et d’inquiétude. Je viens pourtant de recevoir une lettre d’Hippolyte qui m’annonce que Clotilde est beaucoup mieux. Mais sa fille est morte ! pauvre Clotilde, qu’elle est malheureuse ! si bonne et si aimable. Elle ne méritait pas ces cruels chagrins. Elle ignore encore la perte de son enfant, mais il faudra qu’elle l’apprenne et combien ce nouveau malheur lui sera amer ! Je suis sûre que ma pauvre tante a le cœur brisé. Tout est chagrin et misère ici-bas.

Vous me mandez que Caroline est malade. Qu’a-t-elle donc ? j’espère que cela n’est pas sérieusement, puisque vous m’en parlez si brièvement. Veuillez m’en donner des nouvelles plus détaillées, ma chère maman, ainsi que de vous-même. Je ne sais si c’est pour me punir que vous me donnez de mauvaises nouvelles sans y ajouter un mot pour les adoucir. Ce serait trop de sévérité, car vous ne croyez pas que j’y sois insensible.

Je suis moi-même continuellement malade, ne pouvant dormir, souffrant beaucoup de l’estomach et d’un battement de cœur si précipité qu’il me semble avoir de l’eau en ébullition sous mes vêtemens. J’espère toujours dans le mois de mai.

Maurice va à merveille. Il est tous les jours plus aimable et plus joli. Mais je me reproche de vanter mon bonheur, quand je pense à cette pauvre Clotilde, dont le sort à cet égard est si différent. L’aisance et les plaisirs ne sont rien au cœur d’une mère en comparaison de ses enfans. Si je perdais Maurice, rien sur la terre ne m’offrirait de consolation dans la retraite où je vis. Il m’est si nécessaire que, sans lui, je ne passe pas une heure sans m’ennuyer.