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perfection même ; aussi, selon l’usage des maisons ecclésiastiques, où les élèves avancés partagent les fonctions des maîtres, était-il chargé des rôles les plus importans. Sa piété se maintint plusieurs années au séminaire Saint-Sulpice. Durant des heures,i aux fêtes surtout, on le voyait à la chapelle, baigné de larmes. Je me souviens d’un soir d’été, sous les ombrages de Gentilly (Gentilly était la maison de campagne du petit séminaire Saint-Nicolas) ; serrés autour de quelques anciens et de celui des directeurs qui avait le mieux l’accent de la piété chrétienne, nous écoutions. Il y avait dans l’entretien quelque chose de grave et de profond. Il s’agissait du problème éternel qui fait le fond du christianisme, l’élection divine, le tremblement où toute âme doit rester jusqu’à la dernière heure en ce qui regarde le salut. Le saint prêtre insistait sur ce doute terrible : non, personne, absolument personne, n’est sûr qu’après les plus grandes faveurs du ciel il ne sera pas abandonné de la grâce. « Je crois, dit-il, avoir connu un prédestiné ! . » Un silence se fit ; il hésita : « C’est H. de ***, ajouta-t-il ; si quelqu’un peut être sûr de son salut, c’est bien lui. Eh bien ! non, il n’est pas sûr que H. de *** ne soit pas un réprouvé. »

Je revis H. de *** quelques années plus tard. Il avait fait dans l’intervalle de fortes études bibliques ; je ne pus voir s’il était tout à fait détaché du christianisme ; mais il ne portait plus l’habit ecclésiastique et il était dans une vive réaction contre l’esprit clérical. Plus tard, je le trouvai passé à des idées politiques très exaltées ; la passion vive, qui faisait le fond de son caractère, s’était tournée vers la démocratie ; il rêvait la justice, il en parlait d’une manière sombre et irritée : il pensait à l’Amérique, et je crois qu’il doit y être. Il y a quelques années, un de nos anciens condisciples me dit qu’il avait cru reconnaître, parmi les noms des fusillés de la commune, un nom qui ressemblait au sien. Je pense qu’il se trompait. Mais sûrement la vie de ce pauvre H. de *** a été traversée par quelque grand naufrage. Il gâta par la passion des qualités supérieures. C’est de beaucoup le sujet le plus éminent que j’aie eu pour condisciple dans mon éducation ecclésiastique. Mais il n’eut pas la sagesse de rester sobre en politique. A la façon dont il prenait les choses, il y a des jours, dans notre pays, où l’on a vingt occasions de se faire fusiller. Les idéalistes comme nous doivent n’approcher de ce feu-là qu’avec beaucoup de précautions. Nous y laissons presque toujours notre tête ou nos ailes. Certes la tentation est grande pour le prêtre qui abandonne l’église de se faire démocrate ; il retrouve ainsi l’absolu qu’il a quitté, des confrères, des amis ; il ne fait en réalité que changer de secte. Telle fut la destinée de Lamennais. Une des grandes sagesses de M. l’abbé Loyson a été de résister sur ce point à toutes les séductions et de se