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le réactif qui fit en moi tout vivre et tout éclater. L’essentiel, en effet, dans l’éducation, ce n’est pas la doctrine enseignée, c’est l’éveil. Autant le sérieux de ma foi religieuse avait été atteint en trouvant sous les mêmes noms des choses si différentes, autant mon esprit but avidement le breuvage nouveau qui lui était offert. Le monde s’ouvrit pour moi. Malgré sa prétention d’être un asile fermé aux bruits du monde, Saint-Nicolas était à cette époque la maison la plus brillante et la plus mondaine. Paris y entrait à pleins bords par les portes et les fenêtres, Paris tout entier, moins la corruption, je me hâte de le dire, Paris avec ses petitesses et ses grandeurs, ses hardiesses et ses chiffons, sa force révolutionnaire et ses mollesses flasques. Mes vieux prêtres de Bretagne savaient bien mieux les mathématiques et le latin que mes nouveaux maîtres ; mais ils vivaient dans des catacombes sans lumière et sans air. Ici l’atmosphère du siècle circulait librement. Dans nos promenades à Gentilly, aux récréations du soir, nos discussions étaient sans fin. Les nuits, après cela, je ne dormais pas : Hugo et Lamartine me remplissaient la tête. Je compris la gloire, que j’avais cherchée si vaguement à la voûte de la chapelle de Tréguier. Au bout de quelque temps, une chose tout à fait inconnue m’était révélée. Les mots talent, éclat, réputation eurent un sens pour moi. J’étais perdu pour l’idéal modeste que mes anciens maîtres m’avaient inculqué ; j’étais engagé dans une mer où toutes les tempêtes, tous les courans du siècle avaient leur contre-coup. Il était inévitable que ces courans et ces tempêtes emporteraient ma barque sur des rivages où mes anciens amis me verraient aborder avec terreur.

Mes succès dans les classes étaient très inégaux. Je fis un jour un Alexandre, qui doit être au Cahier d’honneur, et que je réimprimerais si je l’avais. Mais les compositions de pure rhétorique m’inspiraient un profond ennui ; je ne pus jamais faire un discours supportable. A propos d’une distribution de prix, nous donnâmes une représentation du concile de Clermont ; les différens discours qui purent être tenus en cette circonstance furent mis au concours. J’échouai totalement dans Pierre l’Ermite et Urbain II ; mon Godefroy de Bouillon fut jugé aussi dénué que possible d’esprit militaire. Un hymne guerrier en strophes saphiques et adoniques fut trouvé moins mauvais. Mon refrain, Sternite Turcas, solution brève et tranchante de la question d’Orient, fut adopté dans la récitation publique. J’étais trop sérieux pour ces enfantillages. On nous donnait à faire des récits du moyen âge, qui se terminaient toujours par quelque beau miracle ; j’abusais déplorablement des guérisons de lépreux. Le souvenir de mes premières études de mathématiques, qui avaient été assez fortes, me revenait quelquefois. J’en parlai